Ferdonnet Paul - La crise tchèque


Auteur : Ferdonnet Paul
Ouvrage : La crise tchèque
Année : 1938

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La crise tchèque a failli mettre le feu à l'Europe et peut-être au monde le 21 mai 1938. Cette simple alerte a montré, aux plus aveugles, l'importance primordiale du problème tchécoslovaque. Il a suffi, ce jour-là, d'une seule balle tchèque traversant mortellement, dans le dos, deux Allemands sudètes, Böhm et Hofmann, à Eger, pour peupler de fantômes guerriers toutes les forêts de la Bohême. Déjà incertain de pouvoir maintenir l'ordre, le gouvernement de Prague, affolé par un message anglais sur les dispositions de Berlin, avait ordonné, à quatre heures du matin, le rappel de plusieurs classes de réservistes. Pour nous rassurer, le distingué attaché de la presse tchécoslovaque à Paris prit soin de déclarer aux journalistes que « le rappel des classes n'était pas la mobilisation » - pas plus d’ailleurs que la mobilisation, selon Viviani, n'était la guerre !... Si l'Allemagne avait immédiatement répondu par une mesure semblable, la mobilisation allemande - même partielle - aurait entraîné automatiquement celle de toute l'Europe. Les ressortissants britanniques à Berlin étaient en route vers Londres, tandis qu'à Paris, M. le président Daladier, avait sur son bureau, prêt à être signé, l'ordre de mobilisation générale. L'ambassadeur de Grande-Bretagne à Berlin, S. Ex. Henderson se rendit trois fois chez M. von Ribbentrop, ministre des Affaires Etrangères du Reich. Désormais, aucun malentendu n'était possible : le mécanisme des alliances jouerait pour les Tchèques, comme pour les Serbes, en 1914. Notre ambassadeur, M. François-Poncet, dans sa Dépêche du 18 mai, aurait également fait part de ses inquiétudes à M. Georges Bonnet, notre ministre des Affaires étrangères, ayant connaissance des rapports alarmants du Service secret anglais : l'Intelligence Service (rapports infirmés par les Allemands). L'Intelligence Service, qui avait fomenté, avec son chef de section Seton-Watson, le mouvement révolutionnaire tchèque de 1914, révélait une fois de plus l'intérêt extraordinaire qu'elle porte aux Tchèques. Son intervention foudroyante a beaucoup moins surpris Berlin qu'on ne l'a prétendu. Sans doute, la propagande allemande avait-elle exploité les réticences calculées du Premier ministre britannique, dans son discours du 24 mars, et surtout les déclarations sensationnelles d'un jeune sous-secrétaire d'Etat, M. Lennox Boyd, pour lequel la conquête de la Tchécoslovaquie par l'Allemagne ne pourrait nuire aux intérêts britanniques, mais la Wilhelmstrasse savait que M. Lennox Boyd avait été désavoué par son chef et qu'il avait dû, le lendemain, présenter ses excuses à la Chambre des Communes. M. von Ribbentrop avait en main - non pas des extraits de presse arrangés - mais les « bleus » de Londres (qui correspondent à nos documents verts), et il avait assurément médité le passage suivant du discours de M. Neville Chamberlain : « Lorsqu'il est question de paix et de guerre, les obligations légales ne sont pas les seules en cause. « Et si une guerre éclatait, il est peu probable qu'elle serait limitée aux pays qui ont assumé de telles obligations... « Il ne faut pas penser que la Grande-Bretagne ne se battrait, en pareil cas, sous aucun prétexte. » Le refus de prendre de nouveaux engagements avait tout au plus la valeur d'une formule électorale, sans signification spéciale. Ce serait se tromper soi-même que de supposer, selon la légende forgée le 21 mai, que le chancelier Hitler n'était pas informé - ne serait-ce que par l'avertissement de M. Chamberlain - de l'attitude hostile de l'Angleterre, en cas de conflit armé. S'il en fallait une seconde preuve, nous la trouverions dans ce fait qu'en ces jours graves, mais dramatisés à l'excès par des gens effrayés de leurs propres responsabilités, M. Adolf Hitler, avec ses nerfs d'acier, et son indifférence flegmatique, poursuivait en province de pacifiques inaugurations... Ce n'est pas l'attitude habituelle d'un homme d'Etat aux plans bouleversés. Voilà pourquoi les ministres allemands répondaient avec une entière bonne volonté à la médiation de l'éminent Premier ministre de Grande-Bretagne, M. Neville Chamberlain. De son côté, le Quai d'Orsay consultait les puissances : S. Ex. l'ambassadeur des Etats-Unis affirmait son désir de paix sans engagement de sa part. S. Ex. l’ambassadeur de Pologne faisait remarquer le caractère non agressif du Reich vis-à-vis de la France et refusait de s'engager. La Yougoslavie consultait Rome. La Roumanie était liée avec Varsovie. Chacun se réservait selon ses intérêts. Il nous restait les Soviets, toujours étrangement prudents en temps de crise. Mais leur ambassadeur attendait l'opinion de Staline. Le Tsar rouge était occupé à étudier la procédure !... Ses 4.000 avions, annoncés trop tôt par le zélé M. Buré, ne sortirent pas de leurs lanières. En somme, la Tchécoslovaquie était seule à rappeler réservistes et techniciens. Le seul homme d’Etat qui n'ait rien dit sur ces événements, c'est celui dont la décision pouvait tout emporter. Le silence hautain de M. Adolf Hitler, dont le sang-froid fut à la mesure de ses responsabilités, a certainement contribué au maintien de la paix. Quand des politiciens agités brandissaient, dans l'air vide, des ordres de mobilisation inutiles, le Führer se contentait de faire éloigner de trente kilomètres de la frontière les divisions du temps de paix en manoeuvres près de Dresde, afin d'éviter une rencontre avec les troupes tchèques, qui avaient déjà remplacé les douaniers.2 A propos de sa déclaration devant la Commission des Affaires étrangères, M. Georges Bonnet a démenti l'assertion contraire, reproduite « par erreur » dans deux grands journaux parisiens, qui voulaient justifier les mesures militaires de Prague par d’identiques mesures allemandes. Nos confrères, qui se laissent souvent abuser par des informations incontrôlables, fournies par des bulletins suspects, devraient se souvenir de la fameuse dépêche d'Ems. Devant une situation aussi grave, qui fait peser sur nos têtes comme l'épée de Damoclès, la menace de la guerre, il est temps de dire la vérité au pays. Un ancien ministre, M. Anatole de Monzie, qui secoua un jour la tutelle de M. Benès, a eu le courage assez rare dans la « profession parlementaire » de, reconnaître, dans « Le Capital » et dans « La Tribune des Nations », que, depuis vingt ans, nos prétendus informateurs nous ont menti. Il en est malheureusement ainsi à chaque période troublée. Louis Veuillot le remarquait au lendemain de l'autre guerre : « Notre temps, écrivait-il le 5 octobre 1871, n'aime pas la vérité ; et, dans le petit nombre de ceux qui aiment la vérité, plusieurs, pour ne pas dire beaucoup, n'aiment point ceux qui se mettent en avant pour la défendre. On les trouve indiscrets, importuns, « inopportuns ». On ne leur pardonne pas volontiers leurs défauts ; on leur sait plus volontiers mauvais gré de ne pas se mettre d'accord avec tout le monde. » Mais enfin, concluait le bon journaliste : « La souffrance qui résulte de ces petites iniquités n'empêche pas de marcher... » Eh bien ! osons répondre à l'ancien ministre en rapportant modestement les documents publics sur lesquels est fondée la crise tchèque, d'où peut sortir la guerre. La Tchécoslovaquie, sans accès à la mer et sans unité géographique, ressemble à un monstre allongé, rampant au coeur de l’Europe sur une longueur de mille kilomètres, avec une largeur étroite de 50 km à l'est et de plus de 250 à l'ouest. Son système ferroviaire dirigé vers Berlin, Vienne ou Budapest n'offre aucune utilité à la vie économique du pays. En un mot, c'est un Etat indéfinissable, où les Tchèques eux-mêmes n'arrivent pas, avec leur 7.406.493 âmes, à réunir la majorité de la population, qui comprend en outre plus de trois millions et demi d'Allemands,3 2.282.277 Slovaques, huit cent mille Hongrois, cinq cent cinquante mille Ruthènes, quatre-vingt mille Polonais, 240.000 étrangers et 15.000 « divers », enfin deux cent mille Juifs, maîtres de presque tout. Dans une telle chaudière, pire que celle des sorcières de Faust, une crise est un phénomène naturel et normal. Cependant, par son ampleur et par l'écho mondial de ses manifestations, la crise tchèque absorbe aujourd'hui l'attention fiévreuse du peuple français. On y voit une politique obscure, et on croit y voir la main de Hitler, que l'on charge - sans ironie - de tous les péchés d'Israël. La crise tchèque est autrement grave; ses origines sont plus lointaines; et ce n'est pas à Berlin qu'on les trouve, mais - hélas ! - près de nous, à Trianon et à Saint-Germain. Ce serait vraiment trop grandir le Führer du IIIe Reich que de voir son ombre géante sur toutes les routes de l'Europe... C'est le président Wilson, qui a proclamé le droit des peuples à disposer d'eux-mêmes. C'est la Conférence de la Paix de 1919, qui a fondé le droit des nationalités. C'est Israël, qui s'est répandu sur les cinq continents sous le signe de la Race Elue, dont il a conservé les traits distinctifs originaux. Et c'est Hitler qui a revendiqué pour la « race germanique » les mêmes droits de conservation nationale. La synthèse de ces idées-force est condensée dans cette formule nouvelle : « Un peuple, une nation, un chef. » Au nom de cet idéal raciste, l’Allemagne et l'Autriche se sont réunies dans un même giron de soixante-quinze millions d’habitants. Et cette théorie, où le nationalisme français n'a rien à glaner, a sonné, en Europe centrale, le réveil des races. Au sein même de la Tchécoslovaquie, dont la formation délicate fut trop artificielle, il n'est pas surprenant d'entendre la voix des consciences nationales ruthène, polonaise, slovaque, hongroise et allemande, dont le concert concordant réclame aux Tchèques l'égalité des droits et l'autonomie administrative, dans le cadre des frontières actuelles. Voilà le problème tchécoslovaque. Il pose une question de politique intérieure, à Prague. En examinant ses origines (rattachées aux causes et aux conséquences de la guerre), son développement (inclus dans les prémices et les effets des traités de Trianon et de Saint-Germain) et sa conclusion (dont nous sommes les témoins angoissés), nous verrons au cours de cette étude objective, faite sur place, qu'il n'y aurait pas de plus grand péril pour la paix du monde que de la porter sur le plan international. Notre politique extérieure est suffisamment préoccupée par des difficultés plus proches et plus vitales que les embarras de M. Bénès : au lieu d'intervenir dans la crise tchèque, au risque d'une guerre désastreuse, la diplomatie française digne et résolue, dégagée de l'entrave soviétique, nationale d'abord, se doit d'envoyer des ambassadeurs à Rome et à Burgos, pour rétablir, sur toutes ses frontières, les accords et les amitiés qui sauveront la patrie, la civilisation et la paix. PAUL FERDONNET. Paris, le 14 juillet 1938. ...

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