Gubler Claude - Un entretien avec l'auteur du Secret du docteur Gubler


Auteur : Gubler Claude
Ouvrage : Un entretien avec l'auteur du Secret du docteur Gubler
Année : 1996

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Quand Claude Gubler déboule à l'Élysée en 1981, personne ou presque ne lui prête attention. Dans les premiers mois, sa vie n'est pas profondément modifiée par son titre de médecin personnel du chef de l'État, titre officieux d'ailleurs puisqu'il ne figure pas dans l'organigramme élyséen et n'est pas rémunéré même indirectement comme cela se fait souvent pour les fonctionnaires détachés auprès du pouvoir exécutif. Il peut encore poursuivre son activité professionnelle privée, cabinet, clinique, hôpital, la routine d'un généraliste de quartier. Il passe de temps à autre au palais de l'Élysée où les collaborateurs du président s'habituent peu à peu à ce grand escogriffe au physique tourmenté, dont les joues sont envahies par des favoris et qui passe en un éclair du propos grave à une plaisanterie de carabin, à moins qu'il ne déclame tout à trac quelques vers de Lamartine. Il intrigue la cour élyséenne qui ne connaît pas ce spécimen et qui se demande d'où sort ce personnage de Dickens qui virevolte comme Jacques Tati et qui, comble de l'incompréhensible, possède la confiance du président. Bien qu'aucun nuage n'obscurcisse l'horizon médical, tout de même on s'interroge. Claude Gubler est jugé sur les apparences et elles ne lui sont pas favorables. Ce sera encore le cas en 1996 lors de ses procès. Le mot cruel d'André Rousselet s'impose à de nombreux esprits: « Qui aurait l'idée de se faire soigner par un type qui a une tête de cocher de fiacre londonien du XIXe siècle ? » Qu'importe, François Mitterrand apprécie cet homme simple et passionné qui l'amuse au lieu de pontifier. Dès les premiers jours, le docteur mesure l'ampleur de la tragédie. Quand il demande: « Que dois-je dire à Danielle ? - Rien, lui répond le président. - Qui dois-je avertir ? Qui peut m'aider dans votre entourage ? - Personne. » En si peu de mots tout est dit. Mitterrand verrouille. Au début du traitement que le Pr. Steg a prescrit, Gubler vient rue de Bièvre tous les matins à 7 h 30 pour faire une perfusion au malade. La crainte du médecin est de croiser Danielle qui ne manquerait pas de le questionner. Lorsque cela arrive, il lui dit qu'il soigne un rhumatisme récalcitrant. C'est le premier d'une longue série de mensonges. L'échéance du deuxième bulletin de santé survient alors que ses médecins ne savent pas encore comment leur malade réagit au traitement. A la mi-décembre, Gubler évoque le problème avec Mitterrand. Le docteur n'a pas le coeur à dire que si la transparence promise devait être respectée le moment est venu de le faire. Il avance une hypothèse médiane: donner une piste en annonçant des examens et renvoyer la conclusion à une date ultérieure. Le président ne laisse pas Gubler longtemps à ses réflexions: « De toute façon, lui dit-il, on ne peut rien révéler. C'est un secret d'État. » Il ajoute pour être sûr d'être bien compris: « Vous êtes lié par ce secret. » Et l'on aurait voulu que Gubler se défile, et dise au président: « Débrouillez-vous sans moi, le secret que vous m'imposez est trop lourd à porter. La déontologie s'oppose à ce que je signe un bulletin mensonger ! » Il peaufine son personnage. Il accepte de tenir un rôle de composition afin de protéger à la fois le président et le secret. Il joue l'imbécile de manière à banaliser son assiduité auprès du chef de l'État, et échapper à toutes les curiosités. Il ne peut compter sur personne dans ce palais agité par les rivalités et les intrigues que François Mitterrand sait si bien attiser. Au milieu de ces hommes et femmes ambitieux rivalisant d'intelligence et cherchant à briller, il se cache derrière le masque d'un benêt dont on se moque gentiment parce qu'il est serviable et pas méchant. Son rôle fait penser à ce film américain, « Les anges aux figures sales », dans lequel un pasteur demande au gangster condamné à mort (James Cagney) d'aller à la chaise électrique comme un lâche afin de décevoir les jeunes dont il est l'idole. Aussi, le criminel feint de se traîner aux pieds de ses bourreaux. Il avait accepté qu'on lui vole sa mort. C'est un peu de sa dignité qui fut volée à Claude Gubler à partir de 1981 et jusqu'en 1996 lorsque ses accusateurs osèrent le diminuer alors qu'ils connaissaient la qualité de ses services et sa fidélité à son patient. Quand, onze ans plus tard, il révélera la vérité à Hubert Védrine, secrétaire général de l'Élysée, celui-ci tombe littéralement assis: « Que tu aies pu tenir ce rôle si longtemps, chapeau ! » C'est à la fin de l'année 1989 qu'un premier grain de sable vient dérégler la mécanique. Un personnage nouveau s'est infiltré dans la suite présidentielle. Il s'agit du médecincolonel Claude Kalfon (1), qui a trouvé le moyen d'accompagner le président dans ses déplacements privés. François Mitterrand était apparemment satisfait de l'avanie subie par Claude Gubler, auquel, plus tard, il avait jeté avec un sourire de jubilation : « Alors, qu'est-ce que ça vous fait de ne plus être le seul médecin ? » Tout cela n'avait pourtant guère de sens puisque si l'influence de Kalfon grandissait, en revanche il ne savait toujours rien du passé médical du président. Ce dernier n'avait pas demandé qu'il fût initié au grand secret. Kalfon ignorait même que Mitterrand était sous anticoagulant. Le pauvre colonel découvrait les méthodes mitterrandiennes. Il n'était pas au bout de ses peines! Claude Gubler a continué donc à assumer seul le suivi médical du malade. L'entrée en scène de Kalfon n'avait rien changé sur le fond, sauf que quelque chose était en train de se briser entre le président et son médecin du premier jour. Celui-ci n'avait plus l'exclusivité des petits déjeuners en tête à tête pendant les voyages. Kalfon s'interposait aussi dans les conversations à bâtons rompus sur tout et n'importe quoi, le miel de Cuges, les chênes de Latché, le vent, les femmes. Sur ce dernier sujet, Gubler n'oubliait pas ce qu'un jour lui avait recommandé Charasse avec son parler cru : « Ne l'emmerde pas avec sa santé, fais comme moi, parle-lui de cul ! » Avec Kalfon, il était impossible de garder ce niveau d'intimité. Nous sommes à la fin de l'année 1994. Le président suit une radiothérapie à raison de cinq séances par semaine. Claude Gubler l'accompagne mais il ne se fait plus d'illusions sur son rôle. Il ne compte plus. Mitterrand ne prend pas de gants pour le lui montrer. Il arrive avec Tarot (2), il repart avec lui, ils vont dîner ensemble. Mitterrand pourrait congédier Gubler, mais il a toujours répugné à trancher brutalement, on l'a déjà vu. Il n'a jamais su rompre. Il préfère laisser pourrir les situations jusqu'à ce que la victime de son indifférence ou de son ingratitude parte d'elle-même. Avec Gubler, le problème est plus délicat et le divorce prématuré. Mitterrand a encore besoin de lui pour signer le bulletin de santé de décembre, le vingt-huitième et dernier de sa vie publique puisque dans six mois il sera à la retraite. Quand, le 31 décembre, le président doit prononcer sa dernière allocution de fin d'année, le fidèle Gubler est encore là, prêt à intervenir dans l'hypothèse où la voix présidentielle viendrait à faiblir. Mitterrand, en effet, lui demande les remèdes habituels. Les traitements suivis, l'affaiblissement général diminuaient encore plus ses capacités vocales. Au moment d'entrer dans le studio d'enregistrement, rue de l'Élysée, où l'accompagne Tarot, il se tourne vers Gubler et lui dit: «Ce n'est pas la peine d'entrer.» Après l'émission, le médecin que rien ne rebute retrouve le président dans son bureau, toujours flanqué de Tarot, et lui souhaite une bonne année. Il ajoute: « Vous savez où vous pouvez me joindre. Au revoir monsieur... » Claude Gubler avait compris le message du chef de l'État. La porte qu'il lui avait fermée au nez était un geste symbolique. Depuis le temps, les deux hommes se connaissaient assez pour se comprendre au-delà des mots. L'explication de la lente descente de Gubler dans l'estime du président, son passage du pinacle au pilori, ne peut être cherchée sur le plan professionnel. Le médecin n'a jamais commis de faute majeure. Le Pr. Steg est de ceux qui affirment que sans Gubler le président n'aurait jamais survécu aussi longtemps. L'éminent urologue a tout dirigé, il a soigné, il a opéré, mais le petit généraliste a fait le reste: soutenir le malade, entretenir son moral, alléger les contraintes inhérentes au traitement, le protéger contre les accidents qui le menaçaient. Il a tenu le rôle d'entraîneur auprès d'un sportif de haut niveau qui livre fréquemment des compétitions nationales et internationales. Il devait le maintenir en forme physique et psychique. Il l'a fait alors que son «champion» était par principe récalcitrant à cette protection permanente, qu'il doutait de l'efficacité des soins imposés contre lesquels il se rebellait, et qui, de surcroît, faisait des caprices. Sur ce dernier point, Gubler a engrangé des souvenirs amusés: les oreillers faits sur mesure et emportés dans tous les déplacements y compris à l'hôpital, les tisanes spéciales préparées par un herboriste qui devaient être servies dans une certaine tasse, d'une certaine couleur, etc. François Mitterrand en était arrivé à ne plus pouvoir supporter son huis clos avec Gubler. Il l'identifiait à ses malheurs physiques. Il était le messager de la mort. Sur le plan intellectuel, il gênait en raison de sa connaissance du passé. Son refus de toute courtisanerie aggravait son cas. « Pour durer, explique-t-il, je ne pouvais être qu'un miroir psychanalytique et surtout pas un flagorneur. » Quand François Mitterrand est mort un an plus tard - avant que « Le grand secret » paraisse, pas un seul membre de la famille ne prit la peine d'avertir Gubler qui ne fut même pas invité aux obsèques. Extrait de « Le secret du Docteur Gubler », par Michel Gonod. ...

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