Laval Pierre - Laval parle


Auteur : Laval Pierre
Ouvrage : Laval parle Notes et mémoires rédigés par Pierre Laval dans sa cellule, avec une préface de sa fille et de nombreux documents inédits
Année : 1947

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Dans sa dernière lettre, mon père m’écrivit : « Je vais disparaitre de ce monde — aller me confondre avec la terre qui nous absorbe tous : mais mon âme survivra et elle ne te quittera jamais. Je serai sans cesse avec toi et ta maman pour que vous ne perdiez pas courage. Ne songe pas à me venger je te le demande, mais comme tu n’as pas à rougir de moi tu pourras défendre ma mémoire. Fais-le tranquillement, sans passion mauvaise, avec la certitude que par un juste retour des choses je retrouverai une place dans le coeur des braves gens. Tenezvous debout devant le malheur. La France entière sait maintenant qu’on a voulu m’empêcher de parler et de me défendre. Plus tard, elle exigera des explications et des comptes. On n’a pas voulu entendre les miens. Que mon sacrifice serve au moins à ceux qui ont été injustement frappés ou qui sont menacés de l’être parce qu’ils ont eux aussi voulu servir notre pays quand il était malheureux. » Voilà pourquoi j’ai le courage d’écrire cette préface. Ce ne sont pas des mémoires que vous allez lire. Un homme d’action comme mon père, un homme d’État comme lui n’écrit pas de mémoires. Il laisse cela à des observateurs consciencieux, témoins des faits dont ils écriront l’histoire. Ou bien il laisse cela à des coupables, ou des menteurs, qui tentent de justifier leurs erreurs politiques. Ils présentent alors les événements qu’ils ont vécus en essayant de se donner le beau rôle. Ces livres fleurissent particulièrement après une période comme celle que nous venons de vivre. Rien de tel dans les pages que vous allez lire. Mon père les écrivit en prison sur une étroite tablette qui lui servait de bureau, dans une cellule tapissée de limaces, avec l’aide de sa seule mémoire, dans notre triste France de 1945. « J’avais demandé le Journal officiel pour que les Français connaissent l’accusation et mes réponses. On me l’a refusé. Il n’est pas nécessaire que la France connaisse son histoire » écrivait-il avec amertume dans la dernière page qu’il laissa et dont vous trouverez la photographie dans ce livre. Il a écrit ces notes sur les feuillets que je lui faisais parvenir. Il les a rédigées pour s’en servir au cours des interrogatoires de son instruction, qui n’a pas eu lieu, pour les crier à la face des juges et des jurés s’il y avait eu un procès. Il me les faisait passer par ses avocats, pour que je les fasse taper afin qu’il les corrige. C’est ainsi que s’est constitué ce manuscrit. Vous trouverez de tout dans ce livre. Beaucoup de sujets y sont traités, puisque l’accusation n’a reculé devant aucune bassesse, aucune audace. Vous remarquerez la progression du récit. Au début c’est un homme qui répond à un acte d’accusation absurde. Il prend son temps. Au secret, privé de tout contact avec le monde extérieur (le Gouvernement provisoire avait fait saisir tous ses papiers), il fait le tour des problèmes ; ensuite, au fur et à mesure que les événements se précipitent, il répond à deux chefs d’accusation, puis trois, pour finir par neuf à la fois ! Conscient du marchandage politique dont sa vie était l’enjeu, il nous écrivit alors : « Mon affaire n’est pas un procès mais un problème politique. Il faut que j’aie tort pour qu’ils aient raison. » C’est le point culminant de ce drame. En lisant ces lignes, peut-être vous rappellerez-vous ce que fut la vie de mon père au cours de ces trente dernières années ? Souvenez-vous de ces années... Qui vous a le mieux protégés avant la défaite ? Qui a mis plus de talent et de générosité à défendre les petits et les humbles, si ce n’est l’avocat des anarchistes et des syndicats ? Qui, plus tard, réalisa la réforme sociale la plus importante de notre temps, celle des Assurances sociales ? Qui accepta toujours de braver l’impopularité et les risques du pouvoir lorsque les autres se dérobaient ? Qui, pour assurer la paix de vos foyers, a construit le Front de Stresa et le cercle autour de l’Allemagne allant de Rome à Moscou ? Et lorsqu’on eut détruit les fruits de son patient labeur et que le malheur s’abattit sur nous, qui donc est revenu au gouvernement comme syndic d’une faillite qu’il avait prévue et tout fait pour éviter, afin de réduire les souffrances des Français ? Rappelez-vous les luttes politiques d’avant-guerre. Qui combattait alors avec le plus d’acharnement la politique économique et financière de mon père si ce n’est le Président Léon Blum, à qui mon père devait, plus tard, sauver la vie ? Léon Blum, qui tenta l’an dernier de pratiquer la même politique économique et financière. Malgré son passé de militant socialiste irréprochable, ne fut-il pas alors en butte aux mêmes critiques que connut mon père dix ans plus tôt ? C’est en le regardant vivre et agir chaque jour, avec un courage que rien ne rebutait, en le voyant se refuser aux mille lâchetés qui lui auraient valu une popularité facile, que la plupart de ceux qui l’ont approché comprirent le chemin du devoir. Lorsque j’appris le débarquement des Américains en Afrique du Nord, en novembre 1942, je partis dans la nuit pour Châteldon. Il y a des moments dans la vie où chaque minute, chaque parole, chaque geste se gravent définitivement dans le souvenir de ceux qui les vivent. Ils sont rares. Nous étions dans la salle à manger, mes parents, mon mari et moi. Il était quatre heures du matin. Mon père s’apprêtait à partir pour Munich où il devait porter à Hitler le refus de la France à l’offre d’alliance. Ne sachant pas s’il reviendrait, il posa sur la table les papiers qu’il portait toujours sur lui (trois fois en deux années, nous l’avons vu depuis accomplir ce même geste). Je le suppliai alors de quitter le gouvernement. Il refusa. Je tentai de lui démontrer que sa présence ne servirait plus à rien. Il me répondit que j’étais inconsciente. Les Allemands allaient devenir plus durs, leur dureté et leurs exigences allaient croître avec leurs déconvenues militaires, me dit-il. « Partir serait déserter, je dois rester ici pour protéger les prisonniers en congé de captivité, les réfugiés, les Alsaciens-Lorrains, les Juifs, les communistes, les francs-maçons. Si je m’en vais, je transforme la France en un vaste maquis. Combien de milliers de Français paieront alors de leur vie une telle lâcheté ? Regarde, me dit-il, ce qui se passe en Pologne, dans les Balkans, partout. . . » C’est à partir de cet instant que j’ai mesuré pleinement la grandeur du sacrifice qu’il avait décidé de consentir à son pays. Je sais que vous le mesurerez vous-mêmes en lisant ce livre. Ces pages sont celles d’un homme qui n’a jamais connu la haine, qui ignorait les mots blessants, qui a tout fait pour éviter l’irréparable, tout tenté pour jeter un pont entre les incompréhensions des peuples. Ce sont les pages d’un chrétien — d’un chrétien jugé par de faux chrétiens — d’un Européen supprimé par une France provisoire — d’un Français assassiné pour avoir trop bien servi son pays. Ces lignes paraîtront peut-être à certains trop passionnées, mais ne venons-nous pas de vivre une époque de passion ? Passion chez mon père pour rester au gouvernement par sentiment du devoir, passion chez ses assassins dans leur précipitation a étouffer la voix qu’ils redoutaient, passion chez moi qui ai vécu tout cela. Vous qui l’avez connu, fonctionnaires de tous rangs, quelles que soient vos origines, vous tous qui n’avez pas hésité comme lui à servir la France dans les jours sombres et qui avez été frappés, vous verrez que sa dernière pensée fut pour vous. Et vous qui n’avez pas trop souffert dans la tourmente, vous jugerez en toute conscience, selon vos préjugés, vos partis pris et vos préférences. Mais quelles que soient ces préférences, je crois que vous trouverez dans ces pages une raison de croire et d’espérer, car si vous aimez la démocratie et si vous croyez vraiment en elle, vous réfléchirez à la leçon qu’il faut tirer de la vie de cet enfant d’Auvergne, têtu, travailleur, obstiné, qui, sans compromissions, par sa seule intelligence et son seul courage, a su s’élever au sommet de l’abnégation et du sacrifice. Josée de Chambrun. ...

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