Lovecraft Phillips Howard - Celui qui chuchote dans les ténèbres


Auteur : Lovecraft Phillips Howard
Ouvrage : Celui qui chuchote dans les ténèbres
Année : 1930

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Gardez bien présent à l’esprit que je ne vis à la fin aucune horreur se commettre sous mes yeux. Dire qu’un choc mental détermina mes conclusions – cette dernière goutte d’eau qui me fit quitter en toute hâte la ferme isolée d’Akeley et, la nuit dans une voiture prise d’autorité, traverser la région sauvage des collines rondes du Vermont – serait méconnaître le plus clair de ma dernière aventure. Malgré toute la part que j’ai prise aux investigations et aux hypothèse de Henry Akeley, malgré ce que j’ai vu, entendu, et l’impression frappante que j’en ai ressentie, je ne saurais démontrer, même maintenant, si mes abominables déductions étaient justes ou fausses. Car au fond, la disparition d’Akeley ne prouve rien. On n’a rien trouvé de suspect chez lui, à part les traces de balles sur la maison et à l’intérieur. On aurait pu croire qu’il était parti se promener dans les collines et n’était pas revenu. Rien ne révélait même qu’il avait eu un visiteur, ni que ces machines et ces horribles cylindres avaient jamais été entreposés dans le cabinet de travail. Sa frayeur mortelle de tant de vertes collines et de ce ruissellement sans fin des eaux entre lesquels il était né et avait grandi ne prouvait rien non plus, car des milliers de gens sont sujets à de telles craintes morbides. L’excentricité d’ailleurs aurait suffi à expliquer son comportement étrange et ses angoisses des derniers temps. Toute l’affaire commença, en ce qui me concerne, avec les mémorables inondations, sans précédent dans le Vermont, qui survinrent le 3 novembre 1927. J’étais alors, comme à présent, professeur assistant de littérature à l’université de Miskatonic à Arkham, Massachusetts, et amateur passioné du fokklore de Nouvelle-Angleterre. Peu après, parmi les articles de toutes sortes sur les épreuves, les peines et les secours organisés dont la presse était pleine, apparurent des histoires bizarres de créatures qu’on aurait vues flotter sur certaines rivières en crue ; au point que plusieurs de mes amis se lancèrent dans de curieuses discussions et firent appel à moi pour jeter si possible un peu de lumière sur la question. Flatté que l’on prît au sérieux mes études folkloriques, je m’efforçai de minimiser les contes extravagants si nettement inspirés de vieilles superstitions paysannes. Je m’amusai d’entendre des gens cultivés soutenir que ces rumeurs pourraient être fondées sur la déformation de quelque mystérieuse réalité. La plupart de ces bruits me parvinrent par des coupures de journaux ; mais l’un, de source orale, fut transmis à un de mes amis par une lettre de sa mère venant de Hardwick, dans le Vermont. Dans tous les cas les descriptions concordaient pour l’essentiel, même si elles semblaient se référer à des origines différentes – l’une de la rivière Winooski près de Montpelier, une autre de la West River dans le comté de Windham en aval de Newfane, et une troisième dans la Passumpsic, comté de Caledonia, en amont de Lyndonville. Naturellement, beaucoup d’articles isolés en mentionnaient d’autres, mais finalement tout paraissait se ramener à ses trois sources. Chaque fois les gens du pays disaient avoir vu une ou plusieurs bêtes très bizarres et inquiètantes dans les eaux tumultueuses qui ruisselaient du haut des collines désertes, et l’on avait tendance en général à les rattacher à un cycle légendaire primitif, presque oublié, que les vieux exhumaient pour la circonstance. Ce que les gens croyaient avoir vu était des formes organiques assez différentes de celles qu’ils connaissaient. Il y avait eu évidemment beaucoup de corps humains charriés par les eaux pendant cette période tragique ; mais ceux qui décrivaient les formes étranges étaient absolument sûrs qu’elles n’étaient pas humaines, malgré quelques ressemblances superficielles de taille et de contour. Il ne s’agissait pas non plus, disaient les témoins, d’une sorte d’animal connu dans le Vermont. Ces créatures rosâtres d’environ cinq pieds de long avaient un corps de crustacé portant une énorme paire de nageoires dorsales ou d’ailes membraneuses et plusieurs groupes de membres articulés, plus une espèce d’ellipsoïde enroulé sur lui-même, couvert d’une multitude d’antennes très courtes, et qui tenait lieu de tête. Les récits d’origines différentes coïncidaient vraiment de manière remarquable ; mais moins étonnante cependant si l’on songe que les vieilles légendes répandues autrefois dans tout le pays des collines suggéraient une image hideusement frappante qui avait pu influencer l’imagination des témoins. Je conclus donc que ces témoins – habitants simples et naïfs du fond des bois – avaient aperçu les corps meurtris et gonflés d’hommes et d’animaux de ferme dans les eaux tourbillonnantes ; et les souvenirs confus d’anciennes traditions leur avaient fait prêter à ces pitoyables cadavres un caractère monstrueux. Le vieux folklore, ambigu, nébuleux et en grande partie délaissé par la génération actuelle, était des plus singuliers, et reflétait manifestement l’influence de contes indiens plus anciens encore. Je le connaissais bien, sans avoir pourtant jamais visité le Vermont, par la rarissime monographie d’Eli Davenport, qui comprend toute la documentation recueillie de source orale avant 1839 auprès des plus vieux habitants de l’Etat. Ces documents, d’ailleurs, recoupaient étroitement les récits que j’avais moi-même entendus chez les paysans dans les montagnes du New Hampshire. En bref, ils évoquaient une race secrète d’êtres monstrueux embusqués quelque part dans les collines lointaines – dans les bois profonds des plus hauts sommets et les vallées obscures où coulent les ruisseaux descendus de sources inconnues. On les apercevait rarement, mais on connaissait des preuves de leur présence par ceux qui s’étaient aventurés plus loin que de coutume sur les pentes de certains monts ou au fond de gorges abruptes que les loups eux-mêmes évitaient. Il y avait d’étranges empreintes de pieds ou de pinces dans la boue des ruisseaux et des terres stériles, et de singuliers cercles de pierres autour desquels l’herbe était détruite, et dont ni la disposition ni la forme ne semblaient tout à fait naturelles. Il y avait aussi, au flanc des collines, des cavernes de profondeur inconnue ; l’entrée en était fermée par des rochers, probablement pas par hasard, et un grand nombre d’empreintes étranges y menaient et en revenaient – si toutefois on pouvait exactement déterminer la direction de ces empreintes. Le pire était les créatures qu’avaient vue des gens audacieux, très rarement, dans la pénombre de vallées écartées et les bois épais sur des à-pic au-delà des limites de l’ascension normale. C’eût été moins inquiètant si les descriptions éparses des monstres n’avaient pas si bien concordé. En l’occurrence, presque toutes présentaient plusieurs points communs ; ces créatures, selon elles, étaient des sortes d’énormes crabes rouge clair portant plusieurs paires de pattes et deux grandes ailes de chauve-souris au milieu du dos. Elles marchaient parfois sur toutes leurs pattes, ou bien sur la paire postérieure seule, utilisant les autres pour transporter de gros objets de nature incertaine. On les surprit une fois en grand nombre, toute une troupe qui passait à gué un cours d’eau forestier peu profond, trois par trois en rangs bien ordonnés. On vit même un spécimen en vol : s’étant élancée la nuit du sommet nu d’une colline solitaire, elle disparut dans le ciel après un grand battement d’ailes qui se profila un instant sur la pleine lune. ...

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