Coignard Sophie - Gubert Romain - L'oligarchie des incapables


Auteurs : Coignard Sophie - Gubert Romain
Ouvrage : L'oligarchie des incapables
Année : 2012

Lien de téléchargement : Coignard_Sophie_-_Gubert_Romain_-_L_oligarchie_des_incapables.zip

Introduction. « Ça va mal finir. » Qui parle ainsi ? Un agitateur ? Un idéologue gauchiste ? Non : Jean Peyrelevade, ancien directeur adjoint de cabinet d’un Premier ministre et banquier reconnu de la place. L’un de ses ex-collègues haut fonctionnaire : « Les gens ne vont pas supporter. Ils vont se révolter. » Un autre encore : « Je ne comprends pas comment les Français peuvent accepter tout cela sans broncher. À mon avis, ça ne peut pas durer. » Ces phrases n’ont pas été prononcées par des « indignés » en révolte contre le système. Non, elles sont sorties spontanément, au cours de notre enquête, de la bouche de plusieurs de nos interlocuteurs, occupant tous des postes importants. Une incroyable capacité d’adaptation. Une caste nous dirige. Couverte de privilèges, exerçant son pouvoir d’une façon archaïque, elle nous entraîne gentiment dans le mur depuis des années. Il y avait eu, autrefois, La Nomenklatura française1, vaste fresque critiquant notre système de gouvernement. En fait, avec le recul, nous nous étions rendu compte que la réalité allait bien au-delà de ce qui nous choquait. Vingt-cinq ans après, cette élite – soi-disant élite ? – est, il faut bien le dire, tout aussi arrogante et enfermée dans ses certitudes. Comment, donc, cette nomenklatura, unique au monde depuis la chute de l’Union soviétique, allait-elle s’accommoder de la mondialisation et du triomphe des marchés ? Notre intuition initiale ? Par une ironie de l’histoire, la France et la Russie suivaient des destinées parallèles. La chute du communisme, à Moscou, le recul de l’État, à Paris, ont transformé les élites du régime mais ne les ont pas balayées. Bien au contraire. Enrichis grâce aux privatisations sauvages et à l’effondrement de l’autorité publique, les dignitaires qui avaient servi Brejnev et ses successeurs ont très bien survécu en Russie. En France, c’est pareil. Enfin, presque. Au fil des rendez-vous, il a fallu se rendre à l’évidence : évoquer une oligarchie française est tout à fait insuffisant. Oligarchie ? « Système politique dans lequel le pouvoir appartient à un petit nombre d’individus constituant soit l’élite intellectuelle (aristocratie), soit la minorité possédante (ploutocratie), ces deux aspects étant fréquemment confondus », selon le Larousse. La réalité hexagonale est plus inquiétante encore. Les acteurs sont globalement restés les mêmes, mais la comédie du pouvoir est autrement plus épicée qu’elle ne l’était il y a vingt-cinq ans. Les réformes nécessaires ne sont entreprises qu’à condition de ne pas déranger une élite qui dort sur ses privilèges. Les – rares – nouveaux venus dans les palais nationaux n’ont apporté ni sang frais ni idées nouvelles. Les troubles intermédiaires, qui mettent de l’huile dans les rouages, ont toujours existé. À cette différence près : hier, ils n’étaient pas les bienvenus dans les sanctuaires de la République. Aujourd’hui, ils en foulent les parterres avec insolence. Les voyous, dans les hautes sphères, sont devenus tendance. De la même façon, des communicants aux méthodes douteuses parlent aujourd’hui de puissance à puissance avec les membres des grands corps de l’État qui, autrefois, ne les auraient même pas pris au téléphone. Bien sûr, en cette veille d’élection présidentielle, tous les regards se tournent vers Nicolas Sarkozy. Le Président sortant, candidat à sa succession, n’est pourtant pas l’artisan de cette mutation qui le dépasse. En réalité, il n’en est que le symptôme, le révélateur. L’argent roi. Nous avons rencontré, parfois à de multiples reprises, près de deux cents personnes. Hauts fonctionnaires, membres de cabinets ministériels, banquiers, grands patrons, communicants, élus, avocats, magistrats, journalistes, policiers, héritiers de grandes familles, tous racontent à leur manière la même histoire : celle d’un déshonneur. Pourquoi déshonneur ? Parce que depuis les temps de la chevalerie, il est légitime et nécessaire qu’une élite existe. Mais en contrepartie de ses privi lèges, celle-ci a des devoirs qu’elle doit assumer. Devoir d’exemplarité, devoir d’intégrité. Or aujourd’hui, la société française est dominée plus que dirigée par une petite oligarchie, sûre d’elle, qui ignore en général ce qui se fait à l’étranger, qui mouline toujours les mêmes projets de réformes en cherchant un ministre crédule pour les porter et qui, malgré ses discours pontifiants, ne sait plus gouverner. Ce dévoiement explique en grande partie la situation de quasi-faillite de l’État, le blocage de ses principales administrations et le découragement de nombreux Français, des fonctionnaires aux professions libérales. Au centre de tout : une passion honteuse, celle de l’argent roi ; une obsession du cumul : cumul des positions, des pouvoirs et de ce que Balzac appelait « les places ». Avec, en toile de fond, l’impunité qui a fait du droit à l’incompétence un article non écrit de la Constitution. Cet engrenage présente un grand danger. Le sociologue Charles W. Mills, dans les années soixante, dénonçait déjà la confusion des genres qui sévissait aux États-Unis. Selon lui, tant que les trois élites – économique, politique et militaire – sont clairement différenciées, et que leurs intérêts ne sont pas mêlés, elles se contrôlent mutuellement et garantissent donc la bonne marche de la démocratie. Mais plus leurs frontières deviennent poreuses les unes par rapport aux autres, plus elles instrumentalisent le système à leur propre profit2. Dans la France d’aujourd’hui, la grande famille de l’influence et de la communication a remplacé les militaires comme troisième partenaire de ce jeu d’enfer. Même Édouard Balladur, que nous avions rencontré en septembre 2011 pour les besoins d’une couverture du Point, convient de cette dérive : « Pour qualifier cette caste, je ne parlerais pas d’élite. C’est idiot. C’est réducteur. Un professeur de médecine, un agrégé de philosophie ou de littérature font partie de l’élite. Ce sont des fonctions nobles. Non, votre sujet, ce sont plutôt les puissants, les abus de pouvoir. Là, oui, vous touchez juste3. » « L’État, c’est pour nous ». Désormais, ce n’est plus l’enrichissement, c’est l’accaparement des biens publics qui est devenu le sport préféré de nos élites. « L’État, c’est moi », disait, paraît-il, Louis XIV. « L’État, c’est pour nous », pensent, au fond d’eux-mêmes, ceux qui sont censés nous diriger sans se rendre compte de l’exaspération qui monte. Daniel Lebègue, ancien directeur du Trésor, ex-patron de la BNP, est l’un des rares à avoir résisté à l’air du temps : il préside aux destinées de la section française de l’association anti-corruption Transparence internationale, et combat désormais les pratiques débridées de ses anciens voisins de bureau. « Est-ce que c’est pire qu’avant ? Jamais le favoritisme, le conflit d’intérêts, le trafic d’influence, l’imbrication public-privé n’ont en effet connu un tel degré d’intensité. Et mon sentiment, fondé sur les études que nous réalisons, est que le niveau de suspicion des Français a augmenté. Deux tiers d’entre eux estiment que leurs élus sont corrompus ou vulnérables à la corruption, alors même que seulement 1 % de la population a été confronté effectivement à ce phénomène. Mais la majorité a l’impression, pas injustifiée d’ailleurs, qu’une poignée de gens tient tout. » Souvent, dans l’histoire, les élites françaises se sont montrées indignes de leur rang, selon un scénario toujours identique, même si le contexte et les modalités varient. Incapables de partager, inaptes à intégrer de nouveaux venus, elles ne se renouvellent qu’à la faveur d’un bouleversement ou d’une révolution. Après cette rupture, elles connaissent une embellie, se consacrent certes à la consolidation de leur statut, mais aussi à l’intérêt général. Passé ce moment de grâce, les affaires reprennent de plus belle. Le divorce avec le peuple n’est pas prononcé, mais il est bien là. Nous y sommes aujourd’hui. Ce constat terrible ne paraîtra sévère qu’aux aveugles ou aux esprits forts qui savent tout sur tout. Incapables, ceux qui nous dirigent ? Le mot peut sembler dur. Nos élites, en effet, sont très compétentes pour défendre leurs propres intérêts. Beaucoup moins lorsqu’il s’agit de se rendre utile. Ce sont les coulisses de cette mystification que nous avons voulu raconter. Par leur impéritie, par leur entêtement à en vouloir toujours plus, ceux qui nous dirigent ont jeté le pays dans une situation prérévolutionnaire, voilà la vérité que nous n’osons pas regarder en face. ...

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