David-Néel Alexandra - Voyage d'une parisienne à Lhassa


Auteur : David-Néel Alexandra
Ouvrage : Voyage d'une parisienne à Lhassa À pied et en mendiant de la Chine à l’Inde à travers le Thibet
Année : 1927

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Introduction. Huit mois de pérégrinations accomplies dans des conditions inaccoutumées, à travers des régions en grande partie inexplorées ne peuvent se raconter en deux ou trois cents pages. Un véritable journal de voyage exigerait plusieurs gros volumes. L’on ne trouvera donc, ici, qu’un résumé des épisodes qui m’ont paru les plus propres à intéresser les lecteurs et à leur donner une idée des régions auxquelles je me suis mêlée de façon intime en tant que chemineau thibétain. Cette randonnée vers Lhassa sous le déguisement d’une pèlerine mendiante n’est, du reste, ellemême, qu’un épisode de longs voyages qui m’ont retenue en Orient pendant quatorze années successives. La genèse de ceux-ci serait hors de place dans cette introduction, toutefois, quelques explications touchant les raisons qui m’ont amenée à choisir un déguisement singulier pour me rendre à Lhassa me paraissent s’imposer. J’avais déjà fait un séjour en Asie quand, en 1910, j’obtins une mission du ministère de l’Instruction publique pour retourner dans l’Inde. L’année suivante, me trouvant près de Madras, j’appris que le souverain du Thibet, le Dalaï-lama, avait fui son pays – alors en révolte contre la Chine – et résidait dans l’Himâlaya. Le Thibet ne m’était pas absolument étranger. J’avais été l’élève, au Collège de France, du professeur Ed. Foucaux, un savant thibétanisant, et possédais quelques notions de littérature thibétaine. On le comprend, je ne pouvais laisser échapper cette occasion unique de voir le Lama-roi et sa cour. Être reçue par le Dalaï-lama ne paraissait pas des plus faciles, celui-ci refusait obstinément de donner audience à des femmes étrangères. Toutefois, ayant pressenti des difficultés, je m’étais munie de lettres d’introduction, émanant de hautes personnalités du monde bouddhiste. Ces lettres, ayant été traduites au souverain du Thibet, l’intriguèrent sans doute, car il déclara immédiatement qu’il serait heureux de causer avec moi. Autour du moine-souverain, je trouvai une cour étrange d’ecclésiastiques vêtus de serge grenat sombre, satin jaune et brocart d’or, qui racontaient des histoires fantastiques et parlaient d’un pays de contes de fées. Bien qu’en les écoutant je fisse prudemment la part de l’exagération orientale, je sentais instinctivement que derrière les montagnes couvertes de forêts qui se dressaient devant moi et les lointaines cimes neigeuses pointant au-dessus d’elles, il existait, vraiment, un pays différent de tout autre. Faut-il dire que le désir d’y pénétrer s’empara aussitôt de moi. Ce fut en juin 1912 qu’après un long séjour parmi les Thibétains de l’Himâlaya, je jetai un premier coup d’oeil sur le Thibet proprement dit. La lente montée vers les hauts cols fut un enchantement, puis, soudain, m’apparut l’immensité formidable des plateaux thibétains limités au lointain par une sorte de mirage estompé montrant un chaos de cimes mauves et orange coiffées de chapeaux neigeux. Quelle vision inoubliable ! Elle devait me retenir, pour toujours, sous son charme. L’aspect physique du Thibet n’était cependant pas la seule cause de l’attraction que ce pays exerçait sur moi. Il m’attirait grandement aussi comme orientaliste. Je me mis à rassembler les éléments d’une bibliothèque thibétaine que je désirais composer avec des ouvrages originaux ne figurant point dans les deux grandes collections du Khagyur et du Tengyur qui, comme on le sait, sont formées par des traductions. Je recherchai aussi toutes les occasions de m’entretenir avec les lamas lettrés, les mystiques, les adeptes, tenus pour éminents, des doctrines ésotériques et de séjourner auprès d’eux. Ces investigations captivantes m’amenèrent à pénétrer dans un monde mille fois plus étrange encore que les hautes solitudes du Thibet : celui des ascètes et des magiciens dont la vie s’écoule cachée dans les replis des montagnes, parmi les cimes neigeuses. Ce serait une erreur de croire que le Thibet a toujours été la terre interdite et étroitement gardée qu’il est devenu de nos jours. Si extraordinaire que le fait puisse paraître, la zone défendue croît en étendue. Les routes à travers l’Himâlaya, facilement accessibles il y a une quinzaine d’années, ont été garnies de postes barrant non pas simplement la frontière du Thibet, mais ses approches à plus de cinquante kilomètres de distance. Les touristes désireux de visiter le Sikkim doivent obtenir un permis sur lequel il est inscrit que le bénéficiaire « n’est pas autorisé à pénétrer au Népaul, ni au Bhoutan, ni au Thibet, qu’il ne doit visiter aucun endroit, ni voyager, ni tenter de voyager par aucun chemin autre que ceux indiqués sur son permis. » Il lui faut aussi signer l’engagement de se conformer à ces conditions. Quant à la frontière sino-thibétaine, elle est laissée complètement libre par les Chinois, mais les régions qui ont été récemment soustraites à leur contrôle sont devenues interdites. Il s’ensuit qu’il est devenu impossible de s’avancer dans des pays que les voyageurs pouvaient parcourir à leur gré, il y a peu d’années et où, à une époque plus ancienne, des missionnaires s’étaient même établis. Je citerai, parmi d’autres, notre érudit compatriote M. Bacot qui traversa la province de Tsarong et visita Menkong en 1909, le capitaine anglais F. Kingdon Ward qui voyagea dans la même région en 1911 et en 1914, et le capitaine (aujourd’hui colonel) Bailey, un Anglais aussi, qui, vers 1911, releva la carte d’une partie du Tsarong. J’indiquerai aussi, en passant, que vers 1860, la Société des Missions étrangères de Paris possédait des propriétés dans la province de Tsarong. Il pourra être intéressant de lire les détails donnés à ce sujet par un Anglais : Edmund Candler, qui fit partie de l’expédition britannique à Lhassa en 1904. « Il faut se souvenir que le Thibet n’a pas toujours été fermé aux étrangers… Jusqu’à la fin du dixhuitième siècle, seuls les obstacles venant de la configuration du pays et de son climat (physical obstacles), barraient l’accès de la capitale. Des Jésuites et des Capucins atteignirent Lhassa, y firent de longs séjours et furent même encouragés par le gouvernement thibétain. Les premiers Européens qui se rendirent à Lhassa et ont laissé une relation authentique de leur voyage sont les Pères Grueber et d’Orville qui pénétrèrent au Thibet, venant de la Chine par la route de Sining, et demeurèrent à Lhassa pendant deux mois. En 1715, les Jésuites, les Pères Desideri et Freyre arrivèrent à Lhassa ; Desideri y demeura treize ans. En 1719, arriva Horace de la Penna et la mission des Capucins qui y bâtit une chapelle et un hospice, et convertit plusieurs personnes. Les Capucins de cette mission finirent par être expulsés, mais seulement en 1740. Le Hollandais Van der Putte fut le premier laïque qui pénétra dans la capitale. Il y arriva en 1720 et y resta quelques années. Ensuite, nous ne possédons aucune relation concernant des Européens visitant Lhassa, jusqu’au voyage en 1811 de Thomas Manning, le premier Anglais qui soit allé à Lhassa. Manning arriva parmi la suite d’un général chinois qu’il avait rencontré à Phari Dzong et qui lui était reconnaissant pour l’avoir soigné comme médecin. Il resta un mois dans la capitale… Il fut averti que sa vie y était en danger et retourna dans l’Inde en suivant la route par laquelle il était venu ». En 1846, les Pères lazariste Huc et Gabet closent la série des voyageurs qui atteignirent Lhassa. Depuis eux, tous les explorateurs furent contraints de rebrousser chemin. Cependant, avant d’être arrêtés dans leur marche, certains d’entre eux s’avancèrent bien près de la capitale, touchant les bords du Nam tso tchimo (le lac Tengri), comme le firent Bonvalot avec le prince Henri d’Orléans et Dutreuil de Rhins avec M. Grenard en 1893. Il est devenu, maintenant, tout à fait impossible à un étranger de voyager ouvertement dans ces parages. Vers 1901, après la répression des Boxers, plusieurs édits furent affichés à Lhassa, par lesquels le gouvernement chinois déclarait le Thibet ouvert aux étrangers et enjoignait aux Thibétains de les accueillir. De fait, à l’heure actuelle, toutes les parties du territoire thibétain demeurées sous le contrôle de la Chine sont accessibles aux voyageurs. Quelques années après mes premières excursions sur les plateaux du Thibet méridional, je rendis visite au Tachi-lama à Jigatzé. Celui-ci me reçut très cordialement. Il m’encouragea à poursuivre mes études thibétaines et, pour me les faciliter, offrit de me donner l’hospitalité dans son voisinage. Il m’aurait aussi été loisible de visiter les bibliothèques et d’y faire des recherches avec l’aide de lamas lettrés. C’était là une occasion unique, mais on ne me laissa pas la possibilité d’en profiter. À la suite de ma visite au Tachi-lama, les habitants d’un village situé à environ dix-neuf kilomètres de l’ermitage où je résidais, eurent à payer, immédiatement, au résident britannique une amende montant à deux cents roupies pour avoir négligé de l’informer de mon départ. Le résident qui les condamna ne prit pas la peine de considérer que ces gens ne pouvaient en aucune façon avoir eu connaissance de mes mouvements, puisque j’étais partie d’un monastère situé en territoire thibétain, à trois ou quatre jours de marche de leur village. Les montagnards se vengèrent, suivant leur mentalité d’ignorants sauvages, en pillant en partie mon chalet. Je me plaignis en vain. Toute justice me fut déniée et l’on me commanda de quitter le pays dans la quinzaine. Ces procédés, indignes de civilisés, éveillèrent en moi le désir de me venger, mais d’une façon spirituelle cadrant avec l’esprit national de Paris, ma ville natale. Il était nécessaire, toutefois, que je prisse mon temps. Quelques années plus tard, je voyageais dans le Kham (Thibet oriental), lorsque je devins malade. Je décidai d’aller à Bhatang où existe un hôpital missionnaire dirigé par des médecins anglais ou américains. Bhatang est une ville thibétaine importante, demeurée sous le contrôle chinois, comme l’est aussi Kantzé près d’où je me trouvais à ce moment. Les troupes de Lhassa ayant, depuis peu, conquis la partie du pays s’étendant entre ces deux villes, elle était devenue interdite aux étrangers. L’officier thibétain résidant au poste-frontière me demanda tout d’abord si j’étais munie d’une permission du consul anglais à Tatchienlou{7 } – le « grand homme » de Tatchienlou, comme il l’appelait. Cette autorisation en main, disait-il, je pourrais aller où je voudrais au Thibet, sans elle il ne pouvait pas me laisser passer la frontière. Je réussis cependant à continuer ma route, tandis qu’il dépêchait un courrier à son chef pour demander des ordres. Quelques jours plus tard, j’étais arrêtée par un autre officier et entendais, derechef, parler du « grand homme » de Tatchienlou, nouveau saint Pierre qui détenait les clefs du « Pays des Neiges ». Pendant ce temps la maladie s’aggravait. J’expliquai mon cas aux Thibétains, mais bien qu’ils me plaignissent sincèrement, la crainte du « grand homme » ne permettait pas aux fonctionnaires terrorisés de donner cours à leur bonté naturelle, en me laissant continuer mon chemin vers l’hôpital. Il fallait renoncer à m’y rendre ; néanmoins je refusai de retourner sur mes pas, ainsi qu’on voulait m’y forcer, et déclarai que puisqu’on me barrait la route de Bhatang, j’irais à Jakyendo. Jakyendo est une petite ville située sur la route de Lhassa, au-delà de la zone conquise et restée sous le contrôle de la Chine. Je me doutais qu’un tour à travers le territoire nouvellement amené sous l’autorité de Lhassa pourrait être intéressant à plus d’un point de vue. Des journées épiques se passèrent à parlementer. Les officiers siégeaient dans une tente devant laquelle flottait le drapeau thibétain : cramoisi, portant un lion brodé. Autour d’eux campait leur escorte de soldats, dont deux musiciens « armés » de trompettes thébaines. Mes gens et moi, sans drapeau et sans trompettes, occupions deux tentes plantées à quelque distance de celle des Thibétains. D’infortunés dokpas que leur mauvaise chance avait placés à cet endroit, payaient en moutons, beurre, lait et fromage leur place à la comédie qui se jouait. Ils en nourrissaient les acteurs. Tel est l’usage au Thibet. Les discours succédaient aux discours dans le décor romantique et paisible du vieux royaume de Dirgi. Quand les orateurs enroués, exténués, se taisaient, ils mangeaient. À la fin, quand tous eurent clairement compris qu’à moins de me tuer, ils ne m’empêcheraient pas d’aller à Jakyendo, ils se résignèrent. Mon espoir se réalisa pleinement, ma promenade dans cette région fut pleine d’intérêt et, par la suite, je bénis l’aventure qui m’avait jetée à Jakyendo, car mon séjour dans cet endroit me fournit l’occasion d’une nouvelle série de voyages merveilleux. Pendant que je demeurais à Jakyendo, un Danois y arriva, revenant de Tchang Nagtchoukha où on lui avait barré la route alors qu’il se dirigeait vers Lhassa. Ne pouvant atteindre le but qu’il s’était fixé, le voyageur désirait retourner promptement à Changhaï où l’appelaient ses affaires. Le chemin direct était précisément celui sur lequel j’avais bataillé l’été précédent. Avant même qu’il eût atteint la zone dorénavant interdite, des soldats, qui avaient été postés là pour l’attendre, le contraignirent à retourner sur ses pas. Le pauvre explorateur expliqua en vain qu’il avait renoncé à pénétrer dans l’intérieur du Thibet, qu’il marchait dans la direction opposée et ne voulait que passer sur la grand’route pour retourner en Chine, on ne l’écouta même pas. Force lui fut de prendre une route le menant vers le nord, à travers des déserts sillonnés par des bandes de brigands. Il dut, bien entendu, organiser une caravane pour transporter vivres et bagages, le trajet prenant un mois. Au bout de ce temps, s’étant considérablement éloigné de sa destination, il se retrouva à Sining, au Kansou, d’où il était parti, plusieurs mois auparavant, croyant atteindre Lhassa. De là, il mit encore presque deux mois pour arriver à Changhaï. L’itinéraire direct qu’il avait été empêché de suivre, lui aurait permis de voyager en chaise à porteur, de coucher dans une auberge à chaque étape et aurait abrégé de plus de moitié la durée de son voyage. Les faits de ce genre sont une véritable provocation adressée aux voyageurs, je ne pouvais en être témoin avec indifférence. Je résolus – me trouvant aussi murée à Jakyendo que le voyageur danois – de ne pas remonter vers le nord, mais de me frayer un passage à travers le pays interdit, jusqu’au bord de la Salouen et de visiter les vallées chaudes : Tsarong et Tsawarong. Aurais-je été de là à Lhassa ? C’est impossible, mais ce n’est pas certain ; je n’avais rien arrêté de précis à cet égard. Je quittai Jakyendo à la fin de l’hiver accompagnée par un seul domestique. La plupart des cols étaient encore bloqués et notre marche à travers les neiges coudoya le drame. Mon garçon et moi avions heureusement surmonté les obstacles matériels, passé le poste de la frontière sous les fenêtres mêmes du fonctionnaire chargé de sa garde et nous approchions de la Salouen quand nous fûmes arrêtés. Ce n’était pas que nous eussions été reconnus ; la cause de mon échec venait d’ailleurs. J’avais jugé que dans un voyage de ce genre, parcourant un pays à peu près inconnu, il serait bon, en dehors de mes recherches personnelles, de glaner des documents intéressants pour d’autres. Mon fils adoptif, le lama Yongden, me suivait à quelques jours de marche en arrière, accompagné d’un domestique et conduisant sept mules. Nous devions nous réunir plus loin. Dans les sacs qu’il transportait, se trouvaient des appareils photographiques, quelques instruments, du papier pour un herbier, etc. Ces choses attirèrent l’attention du fonctionnaire qui examina les bagages et comme il connaissait ma présence à Jakyendo, il se douta que je me trouvais dans les environs. Il empêcha ma petite caravane de passer, lança des soldats à ma recherche dans toutes les directions ; ceux-ci me trouvèrent et ce fut la fin de l’aventure. La fin pour cette fois, mais j’étais loin de me considérer comme vaincue. J’ai pour principe de ne jamais accepter une défaite, de quelque nature qu’elle puisse être et qui que ce soit qui me l’inflige. C’est même, alors, que l’idée d’aller à Lhassa, restée un peu vague jusqu’à ce moment, devint, chez moi, une décision fermement arrêtée. Aucune revanche ne pouvait surpasser celle-là ; je la voulais et à n’importe quel prix je l’aurais. J’en fis le serment en face du poste-frontière où l’on m’avait reconduite. Le désir de venger mon propre insuccès n’était pourtant pas uniquement ce à quoi je visais. Je souhaitais, bien davantage, attirer l’attention sur le phénomène, singulier à notre époque, de territoires devenant interdits. Il ne s’agit pas seulement de Lhassa. La barrière immense coupant les communications, en Asie, s’étend approximativement entre le 78°et le 99°longitude et du 27°au 30°latitude. Si j’avais parlé après mes différents échecs, certains eussent pu croire que le dépit me poussait. Il fallait donc réussir d’abord, aller à Lhassa même et supprimer, ainsi, tout intérêt personnel dans la question. C’est ce que j’ai fait. Avant de terminer, je désire assurer mes nombreux amis anglais qu’en critiquant la conduite de leur gouvernement au Thibet, je n’obéis à aucun sentiment d’antipathie contre la nation anglaise dans son ensemble. Bien au contraire. Spontanément, dès mon enfance, quand je passais mes vacances sur la côte du Kent, j’ai aimé les Anglais et leurs coutumes. Durant les longs séjours que j’ai faits en Orient, ma sympathie pour eux s’est encore accrue. Une sincère gratitude s’y ajoute, maintenant, pour de si nombreux accueils cordiaux reçus dans tant de demeures dont les charmantes hôtesses s’ingéniaient à me faire retrouver un foyer. Dans leur pays, de même que dans le mien, ou dans n’importe quel autre, la politique suivie par les gouvernants est loin de représenter toujours les meilleurs côtés du caractère des citoyens. Je suppose, sans crainte de me tromper beaucoup, que ceux de la Grande-Bretagne et des Dominions partagent l’ignorance des nationaux de toutes les puissances, quant à la façon tortueuse dont se traitent, dans les coulisses des ministères, les affaires des colonies et des protectorats lointains. Ce que j’ai relaté étonnera sans doute beaucoup de gens et, plus particulièrement les missionnaires chrétiens qui pourront se demander pourquoi une nation qui s’intitule chrétienne, interdit à l’Évangile et à ceux qui le prêchent, l’entrée d’un pays où elle est libre d’envoyer ses troupes et de vendre ses fusils. J’ajouterai un mot au sujet de l’orthographe des mots thibétains. Je les ai simplement transcrits phonétiquement afin de permettre au lecteur de les prononcer à peu près comme le font les Thibétains. Exceptionnellement, j’ai parfois écrit ph pour distinguer l’un des trois p de l’alphabet thibétain, comme dans le mot philing (étranger) qu’il faut prononcer pi line gue. Le son f n’existe pas en thibétain. Le troisième p et le troisième t ont souvent été écrits respectivement b et d selon l’usage généralement adopté par les orientalistes, bien que ces lettres n’aient le son de b et de d que lorsqu’elles sont précédées d’une lettre-préfixe muette. L’orthographe thibétaine, très compliquée, déroute forcément ceux qui ne peuvent lire les mots écrits en caractères thibétains. Comme exemple, j’indiquerai que le mot prononcé naldjor s’écrit rnal byorz ; le nom prononcé deuma s’écrit sgrolma et ainsi de suite. Quant au nom Thibet, il peut être intéressant de savoir qu’il est inconnu des Thibétains. Son origine reste obscure. Les Thibétains appellent leur pays Peu yul ou, poétiquement, en littérature, Gangs yul (le Pays des Neiges). Eux-mêmes se dénomment Peu pas. Certains croient trouver l’origine du terme Thibet dans deux mots thibétains : tod bod (prononcés teu peu). Tod signifie haut. La dénomination Haut Thibet est parfois appliquée au Thibet central, tandis que les provinces orientales sont appelées Bas Thibet. Toutefois, faire dériver la première syllabe de Thibet : « thi » de tod, exige un renversement des places généralement assignées par la grammaire thibétaine au nom et à l’adjectif. D’après celle-ci, l’adjectif suit le nom. L’on dit : Bod-tod (Peu-teu) Thibet haut, Bod-med (Peu-méd) Thibet bas. Ainsi qu’il ressort des explications données dans cette introduction, je ne pouvais réussir à atteindre Lhassa qu’en gardant le plus strict incognito. Il m’était impossible d’inclure un appareil photographique dans mes bagages de mendiante et, ni Yongden, ni moi, déguisés en pauvres hères, ne devaient être surpris prenant des photographies. La plupart de celles qui illustrent ce livre ont été prises au cours de mes précédentes pérégrinations au Thibet. Quant à celles qui se rapportent à Lhassa ou à ses environs, je les ai obtenues de photographes indigènes. Arrivés à Lhassa, mon fils adoptif et moi avions renoncé à la mendicité et nous étions promus à une condition sociale un peu supérieure qui nous permettait de montrer de l’argent. Il nous était, ainsi, possible de rémunérer les services des photographes du pays. Ceux-ci, tant professionnels qu’amateurs, ne manquent point au Thibet. ...

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