London Jack - Martin Eden


Auteur : London Jack (Griffith Chaney John)
Ouvrage : Martin Eden
Année :1909

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Arthur ouvrit la porte avec son passe-partout et entra, suivi d’un jeune homme qui se découvrit d’un geste gauche. Il portait de grossiers vêtements de marin qui détonnaient singulière-ment dans ce hall grandiose. Sa casquette l’embarrassant beau-coup, il allait la glisser dans sa poche, quand Arthur la lui enleva des mains. Ce geste fut si naturel, que le jeune homme intimidé en apprécia l’intention. « Il comprend !… se dit-il, il va m’aider à m’en tirer ! » Il marchait sur les talons de l’autre, en roulant des épaules et ses jambes s’arc-boutaient malgré lui sur le parquet, comme pour résister à un roulis imaginaire. Les grands appartements semblaient trop étroits pour sa démarche et il mourait de peur que ses larges épaules n’entrent en collision avec l’encadrement des portes ou avec les bibelots des étagères. Il s’écartait brusquement d’un objet pour en fuir un autre et s’exagérait les périls qui en réalité n’existaient que dans son imagination. Entre le piano à queue et la grande table centrale sur laquelle d’innombrables livres s’empilaient, une demi-douzaine de personnes auraient pu marcher de front ; cependant, il ne s’y risqua qu’avec angoisse. Il ne savait que faire de ses mains, ni de ses bras qui pendaient lourdement à ses côtés et, quand son esprit terrifié lui suggéra la possibilité de frôler du coude les livres de la table, il fit un brusque écart qui faillit lui faire renverser le tabouret du piano. L’allure aisée d’Arthur le frappa et, pour la première fois, il se rendit compte que la sienne différait de celle des autres hommes. Une petite honte le mordit au cœur – il s’arrêta pour éponger son front où la sueur perlait. – Un instant, Arthur, mon vieux ! dit-il, en essayant de masquer son angoisse. Vrai ! c’est trop à la fois pour moi !… Donnez-moi le temps de me remettre. Vous savez que je ne voulais pas venir… et je suppose que votre famille ne mourait pas d’envie de me voir !… – Ça va bien ! répondit Arthur d’une voix rassurante. N’ayez pas peur : nous sommes de braves gens tout simples… Tiens ! une lettre pour moi. Arthur vint à la table, déchira l’enveloppe et se mit à lire, donnant ainsi à l’étranger le temps de se ressaisir. Et l’étranger comprit et lui en sut gré. Cette compréhensive sympathie le mit à l’aise. Il épongea de nouveau son front moite et lança de furtifs regards autour de lui ; son visage avait repris son calme, mais ses yeux avaient l’expression des animaux sauvages pris au piège. Il était environné de mystère, plein d’appréhension de l’inconnu, sans savoir ce qu’il devait faire ; conscient de sa gaucherie, il craignait que tout en lui ne soit également déplaisant. Il était sensitif à l’excès, toujours sur ses gardes, et les coups d’oeil amusés que l’autre lui lançait furtivement par-dessus la lettre, le piquaient comme autant de coups d’épingles ; mais il ne bronchait pas, car, parmi les choses qu’il avait apprises, il y avait la discipline de soi. Puis, ces coups d’épingles atteignirent son orgueil : tout en maudissant l’idée qu’il avait eue de venir, il résolut de supporter l’épreuve, coûte que coûte. Les traits de son visage durcirent et dans ses yeux s’alluma une lueur combative. Il regarda autour de lui plus librement, observant tout avec acuité et chaque détail du bel intérieur se grava dans son esprit. Rien n’échappa au champ visuel de ses yeux largement ouverts ; devant tant de beauté, leur éclat combatif s’éteignit et fut rem-placé par une chaude lueur : car il était sensible à la beauté. Un tableau accrocha son regard et le retint. Il représentait un rocher assailli par une mer en furie, des nuages de tempête couvraient le ciel bas ; par-delà la barre, toute mâture serrée et donnant tellement de la bande que chaque détail du pont apparaissait – un schooner se détachait sur un coucher de soleil dramatique. C’était une belle chose et elle l’attira irrésistible-ment. Il oublia sa démarche maladroite, s’approcha davantage du tableau… et toute beauté disparut de la toile. Ahuri, il observa ce qui lui semblait à présent un barbouillage quelconque, puis recula. Et la magique splendeur reparut. « C’est un trompe-l’oeil », se dit-il – et il n’y pensa plus. Pourtant, il ressentit un peu d’indignation ; en effet, comment tant de beauté pouvait-elle être sacrifiée à un trompe-l’oeil ? Il n’y connaissait pas grand-chose en peinture. Son éducation artistique s’était faite sur des chromos ou des lithographies, dont les contours – nets et définis – étaient les mêmes vus de près ou de loin. Il est vrai qu’il avait vu des peintures à l’huile à la devanture des boutiques, mais les glaces l’avaient empêché d’approcher d’assez près. Il lança un regard vers son ami qui lisait toujours sa lettre et vit les livres sur la table. Dans ses yeux s’alluma une convoi-tise ardente, semblable à celle d’un homme mourant de faim, à la vue d’un morceau de pain. Une enjambée l’amena à la table, où il se mit à manipuler les livres. D’un regard caressant, il pas-sa en revue les titres et les noms des auteurs. Par-ci par-là il lut certains passages et soudain reconnut un livre qu’il avait lu autrefois. Puis, il tomba sur un volume de Swinburne qu’il se mit à lire attentivement, sans plus penser à l’endroit où il se trouvait. Son visage rayonnait. À deux reprises il retourna le volume pour voir le nom de l’auteur… « Swinburne ». Il n’oublierait pas ce nom-là. Cet homme savait voir : quel sentiment de la couleur ! Quelle lumière !… Mais qui était ce Swinburne ? Était-il mort depuis des siècles, comme tant de poètes ? ou bien vivait-il, écrivait-il encore ?… Il retourna au titre : oui, il avait écrit d’autres livres. Eh bien ! dès le lendemain matin, à la bibliothèque gratuite, il tâcherait de mettre la main sur un ouvrage de ce type-là. ...

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