Markale Jean - Le Mont Saint-Michel et l'énigme du dragon


Auteur : Markale Jean
Ouvrage : Le Mont Saint-Michel et l'énigme du dragon
Année : 1987

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ENTRE MONTS ET GRANDES GRÈVES. Le Mont-Saint-Michel, c’est d’abord une très belle histoire d’amour. On y célèbre en effet les noces perpétuelles du Ciel et de la Terre, de la Terre et de la Mer, de la Mer et du Ciel. Et comme dans toutes les belles histoires d’amour, cela ne va pas sans violence, sans orage, sans souffle de vent, sans lumière derrière les brumes profondes qui se glissent entre monts et grandes grèves pour signifier que l’heure est venue d’accomplir de mystérieuses et silencieuses liturgies. Durant mon enfance, le Mont-Saint-Michel n’a guère été pour moi que quelques cartes postales retrouvées dans une vieille malle, et sur lesquelles, sans comprendre, je commençai à rêver sur les folles architectures du Moyen Âge. Mon imaginaire se plaisait à construire des villes qui n’existaient pas, et je créai, sans prendre appui sur autre chose que des bribes d’images, des pays merveilleux où il faisait bon se perdre en dehors du temps et de l’espace. À cet égard, les cartes postales désuètes qui représentaient le cloître du Mont, des arcs-boutants, des flèches, des clochetons, des remparts, formaient une étonnante pâte que je ne demandais qu’à faire lever afin d’en recouvrir les éléments qui, dans mon vécu quotidien, constituaient un obstacle à toute évasion. Car le Moyen Âge, tel que je le voyais à l’époque, à travers ces images quelque peu défraîchies, à travers aussi quelques monuments que j’avais l’habitude de fréquenter, était un prétexte à partir pour un voyage sans fin. Mais c’était un voyage immobile et, de ce fait, peut-être encore plus efficace parce qu’il permettait d’atteindre l’autre côté de l’horizon, là où plus rien n’est impossible, là où se rejoignent les rescapés de toutes les tourmentes pour se raconter les uns aux autres ce qu’ils ont vu et entendu, comme autrefois les Chevaliers de la Table Ronde lorsqu’ils rentraient à la cour d’Arthur et de Guenièvre. Et je lisais aussi les pages magnifiques où Victor Hugo évoque un Paris de la fin du XVe siècle, à travers les ricanements des gargouilles et les sourires des anges qui gardent les dédales obscurs d’une cité enfouie dans la mémoire. Le Moyen Âge, pour moi, ce ne pouvait être qu’une époque bénie où l’on risquait à chaque pas de rencontrer une merveille. J’ai su depuis que tout cela n’était que leurre et fantasme, mais je ne regrette certes pas d’avoir ainsi rêvé un univers médiéval qui correspondait alors pour moi à un besoin fondamental. Après tout, on sait que Viollet-le-Duc, lorsqu’il a reconstitué certains monuments à peine échappés aux morsures du temps, a opéré selon sa propre imagination, et qu’il n’a jamais prétendu faire autre chose que de donner sa propre vision du Moyen Âge. Cela ne nous empêche nullement de considérer Pierrefonds ou la façade de Notre-Dame de Paris comme d’authentiques chefs-d’oeuvre. À la limite, on pourrait même dire que ces monuments ainsi reconstitués correspondent davantage à notre sensibilité contemporaine qu’en leur état d’origine, lorsque les bâtisseurs s’acharnaient encore dans leur combat contre la pierre. Ainsi donc, je rêvais le Moyen Âge, moi aussi, à travers des églises gothiques, à travers quelques vestiges entrevus, à travers les cartes postales du Mont-Saint-Michel. Le Mont m’attirait peut-être davantage parce qu’il se situait quelque part vers l’ouest et que j’ai toujours été hanté par le soleil couchant. Vivant à Paris, je suivais la course du soleil, et, parfois, sur les bords de la Seine, ou encore au dernier étage de mon immeuble, au-dessus des toits et des cheminées qui dressaient leurs silhouettes tourmentées, j’avais toujours quelque chose qui se nouait dans ma poitrine lorsque les lueurs rouges du couchant éclataient en fusées grandioses pour retomber ensuite derrière les remparts de pierre qui faisaient obstacle à mon envol. Oui, là-bas, vers un ouest qui me paraissait légendaire, il y avait un lieu où j’irais sans doute un jour, un lieu privilégié où les ombres du soir jouent avec la lumière d’un soleil qui se noie tragiquement dans la mer. Voilà le Mont-Saint-Michel de mon enfance. Il n’existe pas. Mais il est encore très vivant si j’explore les méandres de ma mémoire. D’ailleurs, à cette évocation d’un passé médiéval romantique, s’ajoutait une vision plus tragique. J’avais lu quelque part que le Mont était entouré de sables, et que ces sables étaient dangereux : on pouvait s’y enliser si l’on ne prenait pas soin de suivre des chemins dûment connus et répertoriés. Dommage : les sentiers battus, comme on dit, ont toujours provoqué en moi une sorte de révolte, un refus de suivre ce que les autres ont déjà suivi. Et je lisais aussi, dans Les Misérables de Victor Hugo, cette hallucinante description d’un homme en train de s’enliser dans les sombres cloaques des égouts de Paris. Certes, Victor Hugo connaissait le Mont-Saint-Michel. Il y était venu. Il avait contemplé l’impressionnante plaine où le sable et l’eau ne parviennent point à délimiter leurs domaines respectifs. Il avait entendu raconter de sombres histoires sur des voyageurs égarés dans la brume, et qui n’avaient jamais été retrouvés. Ils dormaient probablement de leur dernier sommeil dans quelques fondrières recouvertes d’un sable fin qui sent bon le goémon et le sel. L’enlisement a quelque chose de sinistre et d’envoûtant, comme si l’être humain se reconnaissait dans cette lente disparition à l’intérieur d’une nuit qui ne finit jamais, amenant une suffocation que seule l’angoisse peut égaler lorsque la souffrance étreint la poitrine. Cette évocation des sables mouvants avait, je l’avoue, un certain charme morbide pour moi, comme si je pensais que pour atteindre ce Mont des Merveilles, il fallait passer par les infernaux paluds dont parle François Villon dans sa Ballade pour prier Notre-Dame. Je n’allais pas tarder à apprendre que toute révélation poétique passe par une Saison en Enfer, et Jean-Arthur Rimbaud me montrait déjà le difficile chemin des Illuminations. Pouvais-je alors comprendre que Rimbaud avait réussi à revenir de ces « infernaux paluds » dans un état qui ne lui permettait plus de contempler la Merveille ? ...

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