Drumont Edouard - La fin d'un monde


Auteur : Drumont Edouard
Ouvrage : La fin d'un monde Étude psychologique et sociale
Année : 1889

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INTRODUCTION. « Un monde détraqué, ballotté et plongeant comme le vieux monde romain quand la mesure des iniquités fut comblée, les abîmes, les déluges supérieurs et souterrains crevant de toutes parts, et, dans ce furieux chaos de clartés blafardes, toutes les étoiles du ciel effacées. A peine une étoile du ciel qu'un oeil humain puisse maintenant apercevoir, les brouillards pestilentiels, les impures exhalaisons devenues incessantes, excepté sur les plus hauts sommets, ont effacé toutes les étoiles du ciel. Des feux follets qui çà et là courent ont pris la place des étoiles. Sur la lande sauvage du chaos, dans l'air de plomb, il n'y a que des flamboiements brusques d'éclairs révolutionnaires, puis, rien que les ténèbres avec les phosphorescences de la philanthropie ce vain météore ». Ainsi parle Carlyle, s'essayant à la peinture de cette fin d'un monde où tous les éléments du Passé sont en dissolution, sans que rien apparaisse de ce qui constituera l'Avenir, sans qu'un mont Ararat dresse une cime verdoyante au-dessus du diluvium général. Tous les penseurs ont éprouvé cette impression du chaos et de l'universel désordre lorsqu'ils se sont efforcés d'analyser les phases que traverse cette société qui tombe en déliquescence. C'est qu'en réalité la Mort est un aussi grand débat que la Vie. L'Agonie est un combat comme la Naissance. La décomposition de l'être est aussi compliquée que sa formation et il faut envisager la terminaison de l'existence comme un tableau aussi coloré, aussi complexe, aussi varié, aussi mouvementé que l'existence elle-même. La littérature semble avoir éprouvé pour ce spectacle de l'anéantissement graduel le sentiment de crainte superstitieuse qu'éprouvaient les païens pour les paroles de mauvais présage : les mots, si nombreux pour exprimer l'éclosion, le développement, l'épanouissement, sont rares pour cette longue série de destructions finales qui éloigne plus qu'elle n'attire les regards superficiels. L'étude est passionnante cependant et digne de tenter des intelligents et des patriotes. Pour savoir bien quelles conditions sont nécessaires pour que vive une Patrie, il faut regarder attentivement comment meurt un monde qui a formé peu à peu dans cette Patrie comme une agglomération de bacilles. Pour bien connaître les nécessités primordiales de l'être, il faut apprendre comment on arrive au non-être et demander à ce qui expire « ce secret de la vie » que saint Antoine, selon l'expression de Flaubert, « tâchait de surprendre, à la lueur des flambeaux, sur la face des morts ». Rien n'est instructif comme de rechercher l'origine première des maladies qui lentement, mais sûrement, usent, dégradent et ruinent peu à peu l'organisme. Le terme de mort subite, en effet, ne veut rien dire et l'on ignore trop les élaborations énormes qu'il faut pour faire ce qu'on appelle une catastrophe soudaine. La désagrégation s'opère progressivement, mais sans hâte et dans la société, confédération des hommes, comme l'homme est une confédération de tissus, les débuts du mal sont toujours lointains, ignorés et obscurs. On tombe par où l'on penche, voilà la loi, c'est un rien d'abord, une perturbation presque insensible, un grain de sable dans l'engrenage, puis le désordre partiel, puis, les ressorts brisés et l'arrêt définitif… Le cadavre social est naturellement plus récalcitrant et moins aisé à enterrer que le cadavre humain. Le cadavre humain va pourrir seul au ventre du cercueil, image régressive de la gestation, le cadavre social continue à marcher sans qu'on s'aperçoive qu'il est cadavre, jusqu'au jour où le plus léger heurt brise cette survivance factice et montre la cendre au lieu du sang. L'union des hommes crée le mensonge et l'entretient : une société peut cacher longtemps ses lésions mortelles, masquer son agonie, faire croire qu'elle est vivante encore alors qu'elle est morte déjà et qu'il ne reste plus qu'à l'inhumer… Les sociétés, d'ailleurs, ne meurent point toutes de la même façon. « Quelquefois, dit Lacordaire, les peuples s'éteignent dans une agonie insensible, qu'ils aiment comme un repos doux et agréable, quelquefois ils périssent au milieu des fêtes, en chantant des hymnes de victoire et en s'appelant immortels. » La France, au lieu de se résigner, ou mieux encore de se recueillir, de rentrer en elle-même, d'essayer de guérir puisque Dieu, dit l'Écriture, a fait les nations guérissables, semble vouloir finir dans l'apothéose théâtrale, elle magnifie sa décadence avec une ostentation vaniteuse, une outrecuidance charlatanesque et délirante qu'elle n'avait point aux jours heureux de sa force et de sa splendeur. Nous recevons affront sur affront, l'Allemagne fait tirer sur nos officiers à la frontière, l'Italie nous donne le coup de pied de l'âne, l'Europe se partage déjà nos dépouilles, l'Invasion est à nos portes et la Banqueroute va s'asseoir à notre foyer, nous plions sous une dette de trente milliards, les usines se ferment, notre agriculture est ruinée, nos industriels voient peu à peu tous les marchés du monde leur échapper… Nous autres, fils de la France, voudrions que notre mère eût, au moins, une attitude digne devant ces épreuves. Les Cosmopolites, qui se sont substitués à nous, n'entendent pas de cette oreille, ils tiennent absolument à ce que la France se couvre de ridicule devant l'univers, il faut que cette nation, si cruellement humiliée, soit grotesque par surcroît et qu'elle déclare, à la risée de tous, qu'elle n'a jamais été si grande, si puissante, si effrayante et si riche. La tour Eiffel, témoignage d'imbécillité, de mauvais goût et de niaise arrogance, s'élève exprès pour proclamer cela jusqu'au ciel. C'est le monument-symbole de la France industrialisée, il a pour mission d'être insolent et bête comme la vie moderne et d'écraser de sa hauteur stupide tout ce qui a été le Paris de nos pères, le Paris des souvenirs, les vieilles maisons et les églises, Notre-Dame et l'Arc de Triomphe, la prière et la gloire… Ce délire vaniteux, auquel succède parfois le coma, est une des formes en quelque manière historiques de V l'agonie des sociétés. Byzance fut ainsi dès qu'un Empereur avait été battu par les Avares, les Bulgares ou les Goths, avait acheté ignominieusement à prix d'or une trêve de quelques années, ou cédé quelques lambeaux de son territoire, sans cesse rétréci, il rentrait à Constantinople, revêtait le costume du triomphe comme les Scipion et les Marius, et toute une armée d'histrions, venue à sa rencontre, chantait des cantates en son honneur. ...

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