Auteur : Tharaud Jérôme et Jean
Ouvrage : Marrakech ou Les seigneurs de l'Atlas
Année : 1920
Lien de téléchargement : Tharaud_Jerome_et_Jean_-_Marrakech_ou_Les_seigneurs_de_l_Atlas.zip
CHAPITRE PREMIER. LA FORÊT DE CEDRES. NOUS avions quitté, le matin, la charmante Rabat, la côte et la brise de mer. Derrière le général Lyautey, dont le fanion flottait sur la voiture de tête, une dizaine d'automobiles roulaient depuis des heures à travers une campagne brûlée où la moisson, faite depuis longtemps, ne laissait plus dans les plis du terrain qu'un reflet doré de paille et de hauts chardons argentés, mêlés aux verdures métalliques du triste palmier nain. Pays dur, austère, sans grâce, riche et qui semble pauvre, peuplé et qui semble vide. Si l'on n'est pas agriculteur, si l'on ne suppute point en passant la valeur des terres noires ou rouges dans lesquelles nos autos s'enfoncent, si l'on ne voit pas en pensée de puissantes machines labourer d'immenses espaces que jamais charrue n'a touchés, il ne reste qu'à s'abandonner, sous le voile qui vous défend mal de la poussière et du soleil, au plaisir engourdi de brider en vitesse ces étendues monotones réservées à d'autres rêves qu'à ceux de l'imagination... Ou bien encore, pour trouver de l'intérêt à ce morne bled marocain, il faut y avoir fait colonne, avoir planté sa tente près de cet arbre rabougri, avoir été attaqué dans ce ravin, avoir attendu sur ce plateau pendant des semaines et des mois la soumission d'une tribu; il faut, comme cet ancien instructeur des troupes chérifiennes qui fait route avec moi, avoir vu revenir, un soir, dans cette plaine de Meknès, les troupes d'une harka du Sultan poussant devant leurs chevaux des femmes hurlantes, échevelées, qui demandaient l'aman, et les farouches cavaliers lancer à la volée les têtes des rebelles qu'ils portaient au bout de leurs sabres et des baguettes des fusils... Évidemment de pareilles images au fond de' la mémoire vous tiennent en éveil et répandent des couleurs énergiques sur ces plateaux fastidieux. Mais qui n'a pas ces souvenirs se sent prodigieusement perdu à travers ces espaces où rien encore ne décèle ce qu'ils pourront donner un jour, lorsqu'une vie plus active viendra les animer; et dans l'esprit désenchanté apparaît ce sentiment : " C'est donc là cet Eldorado qui nous a coûté tant de sang, et qu'ont jalousement convoité toutes les ejrandes nations de l'Europe ! » Et voilà que tout à coup, comme nous venions de traverser le grand plateau solitaire d'El Hajeb, se découvrit à nos yeux un paysage d'une grandeur singulière, tel que sans doute la nature n'en a pas fait deux pareils. ...
Aubert Edouard - La vallée d'Aoste
Auteur : Aubert Edouard Ouvrage : La vallée d'Aoste Année : 1860 Lien de téléchargement :...