Guieu Jimmy - L'Ordre vert


Auteur : Guieu Jimmy (Guieu Henri-René)
Ouvrage : Le rayon du cube
Année : 19**

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Même en vacances, il est une heure pour se lever. C’était là une sage résolution pour Gilles Novak qui, en s’étirant, heurta du poing la paroi de toile de sa tente de camping. Cela ne lui était plus arrivé depuis longtemps de paresser ainsi jusqu’à 9 h 30 ! A cette grasse matinée, le rédacteur en chef de la revue L.E.M. (l’Etrange et le Mystérieux dans le monde… et ailleurs) avait aussi une excuse. La veille de ce 20 juin, un stupide incident mécanique survenu à sa 505 GTD Turbo l’avait retardé ; c’était donc en pleine nuit qu’il avait planté sa tente au bord de l’Argens, la petite rivière coulant à deux kilomètres du village de Montfort, dans le Var. Gilles passa un short et accrocha le rabat de tente à l’un des tendeurs afin de laisser entrer la chaude lumière du soleil. Mettant en marche son rasoir électrique à pile, il entreprit de se raser en sifflotant L’important, c’est la rose… atrocement estropié en raison des grimaces que lui imposait cette corvée matinale. Celle-ci terminée, il jeta une serviette-éponge sur l’épaule, prit sa trousse de toilette et s’apprêta à sortir pour aller prendre un bain à la rivière. Il s’arrêta sur le seuil, écoutant ces pas et cette voix féminine qui fredonnait — elle aussi — L’important, c’est la rose… Gilles Novak acheva de sortir et dressa sa haute stature pour jeter un coup d’oeil par-dessus sa tente. Une jeune femme, une très belle Eurasienne, s’avançait en chantonnant, ses longs cheveux noirs flottant autour de ses épaules nues et bronzées. Elle portait, avec beaucoup de grâce, un bermuda bleu pâle et le soutien-gorge d’un deux-pièces couleur noisette assez proche de sa chaude carnation. Elle ne marqua aucune surprise en apercevant Gilles Novak et continua d’avancer en balançant négligemment son sac de plage, mais cessa de chantonner. — Bonjour, voisin, sourit-elle, sans plus de formalisme. Ce à quoi Gilles répondit tout naturellement : — Bonjour, voisine !… Puisque vous dites que nous sommes voisins, ce dont je me réjouis. Mon nom est Gilles Novak. — Nancy Bradley, répondit-elle avec un accent chantant et en lui tendant une main ferme et douce à la fois. J’ai planté ma tente derrière ce boqueteau d’arbres, à cinquante mètres d’ici. Vous n’avez pu la voir, hier soir, lorsque vous êtes arrivé. — Désolé si je vous ai réveillée en dressant mon petit campement. — Je ne dormais pas, je lisais, sourit-elle en arrangeant une mèche de cheveux pour laisser ensuite sa main droite légèrement posée sur son épaule gauche. Elle eut un imperceptible froncement de sourcils et Gilles crut deviner chez elle une vague surprise. La jeune Eurasienne avait tourné la tête ; son regard effleura le mât de tente qui séparait en deux les rabats de l’entrée, puis elle reporta son attention (après ce curieux manège) sur le journaliste : — Excusez-moi, monsieur Novak. Je vais prendre un bain… Je vous souhaite un bon séjour. — Thank’s and you too, miss Bradley…, or Sweet Flower of the Quiet Morning Country (1)... Sur le point de partir, elle marqua une hésitation et eut, de nouveau, ce charmant froncement de sourcils pour répondre, en anglais: — Vous êtes… devin, ou bien nous sommes-nous déjà rencontrés ? Il secoua la tête en riant. — Jusqu’à il y a cinq minutes, je n’avais jamais eu ce plaisir, miss Bradley. Disons que j’ai joué à pile ou face sur le raisonnement suivant : vous portez un nom américain et vous êtes eurasienne. Il y avait donc de fortes chances pour que vous soyez originaire de Formose ou de la Corée — le « Pays du Matin Calme » — j’ai penché pour ce charmant pays… Et c’était le bon ! Elle battit des paupières, légèrement interloquée, mais consentit à sourire. — Mon père était américain et ma mère sud-coréenne ; je suis née à Séoul. Vous êtes un émule de Sherlock Holmes, peut-être ? — Détective ? Non, journaliste, simplement. — Heureuse coïncidence puisque nous sommes confrères ! Je suis moi-même attachée à la Section Information de la Radiodiffusion, à Séoul et je viens d’effectuer une série de stages en France. Ceux-ci terminés, j’ai pris quelques jours de repos pour faire du camping avant de regagner… le Pays du Matin Calme. Mais, veuillez m’excuser, monsieur Novak, je vais prendre mon bain. — A bientôt, lui lança-t-il en suivant des yeux son émouvante ondulation de hanches. Gilles s’arracha à cette contemplation fort attachante pour poser un regard perplexe sur le mât d’entrée de sa tente. — Que diable semblait-elle chercher là ? Un mât de tente, c’est un mât de tente ! Pourtant, l’espace d’une seconde, elle a paru surprise… ou bien déçue. Pourquoi ? Sur le point d’aller, lui aussi, prendre un bain, il se ravisa et gagna le bouquet d’arbres indiqué par l’Eurasienne. Il aperçut immédiatement sa tente, de couleur orange, et s’arrêta : au faîte du piquet d’entrée se trouvait une rose, liée par un cordonnet ; une splendide rose rouge dont certains pétales étaient tombés, preuve qu’elle n’avait pas été cueillie là le matin même, mais la veille ou l’avant-veille, car elle avait perdu de sa fraîcheur. A deux pas de là, une Honda rouge, à l’arrière de laquelle il découvrit une petite plaque, celle d’un garage de la capitale spécialisé dans la location de voitures. Après un dernier coup d’oeil à la rose, le journaliste promena à l’entour un regard circulaire, s’attardant sur la vieille commanderie templière dont la masse claire et fière dominait le village de Montfort, puis il se résolut enfin à prendre le chemin de la rivière. La campagne varoise inondée de soleil, son calme, cette odeur végétale qui embaumait l’air, tout cela contribuait à rendre agréable ce séjour de vacances — ou demi-vacances — que Gilles s’était accordé après une année de labeur. A la recherche d’un coin propice pour se baigner, Gilles Novak longeait l’Argens lorsque, non loin du petit pont Fract, en direction du village de Correns, il remarqua une tente. Le rabat ouvert, elle était vide. Il allait continuer son chemin lorsqu’un détail, insignifiant en soi, le frappa : un chardon était fixé au sommet du piquet d’entrée. Rien d’extraordinaire à cela, n’eût-ce été le fait qu’une rose décorait la tente de la jeune Eurasienne…, laquelle fredonnait (tout comme Gilles, d’ailleurs) L’important, c’est la rose. Ne pouvait-il s’agir d’une coïncidence ? Avec sa manie de flairer le côté mystérieux des choses, le rédacteur en chef de la revue L.E.M. n’allait-il pas un peu trop hâtivement tirer des conclusions ? Mais quelles conclusions, au fait ? L’important, c’est la rose, la belle affaire ! Des centaines de milliers ou des millions de personnes connaissent cet air-là et doivent le fredonner aussi machinalement qu’on fredonne le dernier tube entendu à la radio ou à la télé. Lui-même n’aimait-il pas cette vieille chanson de Bécaud ? Ne l’avait-il pas, le plus machinalement du monde, fredonnée en se levant ? Oui, mais Nancy Bradley, elle, en plus de la chanson, avait placé une rose à son piquet de tente… De même que celle de cet inconnu avait pour ornement un chardon. « Mon vieux Gilles, se dit-il, tu verses dans l’obsession ! Tout n’est pas nécessairement étrange, dans la vie. Et qu’une fille aime la rose ou un gars le chardon, cela ne prouve rien… » Ou presque rien, lui suggérait son subconscient. Tout en réfléchissant, il réalisa qu’il s’était arrêté au pied d’un acacia. Il en coupa une branchette et, mû par une impulsion soudaine, retourna à sa tente afin de la fixer au mât d’entrée. Satisfait de l’effet, il reprit le chemin de la rivière et dépassa la tente de l’inconnu au chardon. Il trouva enfin une petite crique dont les rochers plats et propres lui permirent de déposer son nécessaire de toilette et son short. Le journaliste entra dans l’eau, encore froide, et s’avança vers le milieu du courant. Las, le fond était tout juste suffisant pour autoriser une trempette agrémentée de quelques brasses ! Il fit donc sa toilette puis s’amusa à nager à contre-courant, en espérant qu’un rocher malencontreux n’irait pas lui écorcher les genoux… A travers l’herbe haute et les buissons de la berge, il entrevit une silhouette qu’il reconnut immédiatement : sa toilette achevée, Nancy Bradley, ses longs cheveux maintenant noués en chignon, son sac de plage négligemment jeté sur l’épaule, rentrait à son campement. Elle paraissait préoccupée, cherchant des yeux quelque chose ou quelqu’un, en amont de la rivière. Cette attitude incita Gilles à ne point l’interpeller…, et à la suivre en se laissant mollement emporter par le courant. La jeune fille venait de s’arrêter sur la berge, à proximité de la tente ornée du chardon. Très doucement, évitant tout clapotis intempestif, Gilles alla se dissimuler parmi les herbes aquatiques, au pied de la berge opposée. Cette Asiatique l’intriguait, qui venait de s’asseoir sur un rocher et lui tournait le dos pour faire face à la tente. De son sac de plage, elle avait retiré un paquet de M.S. mentholées et un briquet. Depuis sa cachette, Gilles entendit distinctement le petit bruit de la molette du briquet. Il est vrai que la largeur de l’Argens, à cet endroit, n’excédait pas cinq mètres ! « J’aurais l’air fin si cette fille me découvrait à l’espionner de la sorte ! maugréa-t-il mentalement. Peut-être attend-elle un amoureux, l’occupant de cette tente ?… Un comble, pour moi, d’être alors découvert ! Et quelle situation ridicule ! » A deux cents mètres de là, sur la route de Montfort à Correns, un troisième personnage muni de puissantes jumelles observait, lui aussi, cette scène à travers un fourré… Sans se douter un instant qu’il était ainsi épié, Gilles vit arriver un homme blond, d’une quarantaine d’années, en blue-jean et chemise Lacoste. L’inconnu marqua une brève hésitation en apercevant cette jeune femme assise sur un rocher ; il la salua et s’arrêta à l’entrée de sa tente. Jetant sa cigarette dans la rivière, Nancy Bradley s’était levée pour s’approcher du campeur non sans avoir lancé un bref coup d’oeil au chardon du piquet de tente. Le sourire de l’homme blond s’accentua et il porta négligemment sa main droite au niveau de son épaule gauche. Nancy imita aussitôt ce geste et tous deux rirent alors franchement en échangeant une poignée de main. — Je m’appelle David Hawkins, fit-il avec un accent anglais prononcé. D’un mouvement de tête, il désigna le chardon et ajouta : — Mon Chardon vient de Londres. Et toi ? — Je suis Nancy Bradley. Ma Rose vient de Séoul, Corée du Sud… Mais tu peux continuer de t’exprimer en français, cela nous sera profitable car nous ne pratiquons pas cette langue tous les jours. — Comme tu voudras, Nancy. As-tu rencontré d’autres frères ou d’autres soeurs ? — J’ai failli commettre une erreur de contact, David, avoua-t-elle. — Comment est-ce possible ? Et les signes de reconnaissances, alors ? Il y en a plus d’un, avant d’engager le contact ! — Je sais, mais j’ai été trompée par les apparences car cet homme, tout comme moi, fredonnait L’important, c’est la rose. Dans sa cachette liquide, Gilles Novak, qui ne perdait pas une bribe de cet étrange dialogue, fit une grimace involontaire. — Bon, fit David Hawkins. T’es-tu découverte ? — Non, car j’ai réalisé in extremis qu’il n’arborait aucun « emblème » sur sa tente. Il n’a pas davantage semblé remarquer le signe complémentaire du salut, précisa-t-elle en portant la main droite sur son épaule gauche. Mais ce type-là est très perspicace, poursuivit-elle en rapportant la façon dont Gilles Novak avait identifié son origine coréenne. « Tu avoueras, David, que cette façon de me décerner le titre de « Fleur du Matin Calme » avait de quoi surprendre et prêtait à confusion. L’un des nôtres aurait fort bien pu, connaissant mon emblème, la rose, employer cette phrase clé. — Bah ! Simple compliment, mérité d’ailleurs ! de la part d’un Français galant homme. Et tu ne l’ignores pas, Nancy, les Frenchies ont la réputation d’être des coureurs de jupons… Et, à plus forte raison, de bermudas ! Gilles sourit lui aussi, dans sa cachette, à cette plaisanterie, puis, de nouveau, il prêta l’oreille aux paroles de l’Eurasienne. — Ce Gilles Novak est tout de même bizarre, David. Il a dû soupçonner quelque chose d’insolite, dans mon attitude, bien qu’il n’ait pu, et pour cause, découvrir mon appartenance à… — Gilles Novak, as-tu dit ? s’exclama l’Anglais. — Tu le connais donc ? ...

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