Weininger Otto - Sexe et caractère


Auteur : Weininger Otto
Ouvrage : Sexe et caractère (Extraits)
Année : 1903

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Les arguments qu’on cite toujours pour tenter de justifier la haute idée qu’on se fait de la femme ont ainsi, à quelques exceptions près encore, été soumis à un examen auquel ils n’ont pas résisté. Il y a peu d’espoir sans doute de pouvoir véritablement entrer en discussion sur ce terrain. Le destin de Schopenhauer laisse songeur à cet égard, lui dont l’opinion au sujet des femmes ne cesse aujourd’hui encore d’être rapportée au fait qu’une jeune fille vénitienne qu’il fréquentait le quitta pour le plus séduisant Byron : comme si c’était celui qui a eu peu de succès auprès d’elles qui devait avoir mauvaise opinion des femmes plutôt que celui qu’elles ont rendu heureux. La méthode qui consiste, plutôt que d’opposer des raisons à des raisons, à taxer le détracteur des femmes de misogynie, a de grands avantages. La haine empêche de bien voir son objet, et prétendre d’un homme qu’il a en haine l’objet sur lequel il prononce un jugement fait peser sur lui le soupçon d’insincérité ainsi que d’incertitude dans les idées, qui fait remplacer les raisons solides par l’hyperbole et le pathos. Cette manière d’argumentation ne manque jamais son but, qui est de dispenser le défenseur de la femme d’aborder la véritable question. Elle est l’arme la plus sûre de cette écrasante majorité d’hommes qui ne VEULENT PAS être au clair sur ce qu’est la femme. Car il n’est pas possible d’avoir vraiment réfléchi sur les femmes et de continuer de s’en faire une haute idée ; il n’y a que deux catégories d’hommes : ceux qui méprisent la femme et ceux qui ne se sont jamais posé de questions à son sujet. C’est sans doute une mauvaise habitude que d’aller rechercher, dans une discussion théorique, quelles peuvent être les motivations psychologiques de l’adversaire. Pour autant que la controverse ait un objet, les adversaires ont à se soumettre à l’idée tout impersonnelle de vérité sans tenir compte de ce qu’ils sont en tant que personnes. Mais lorsque d’un côté, le raisonnement logique est poursuivi rigoureusement jusqu’à sa conclusion et que de l’autre on ne fait rien de plus que se dresser violemment contre cette seule conclusion, sans considération des arguments qui y conduisent, on pourra se permettre, dans certains cas, de confondre l’autre partie en lui montrant clairement quels sont les motifs de son entêtement, en l’obligeant à en prendre conscience au lieu de continuer à s’aveugler sur une réalité qui ne correspond pas à ses désirs. C’est pourquoi on me permettra, après toute cette longue suite de déductions logiques et objectives, de prendre l’affaire par un tout autre bout, et pour une fois, d’examiner la personnalité du défenseur de la femme et de rechercher quels sentiments lui dictent ses prises de positions : dans quelle mesure celles-ci proviennent de convictions profondes et bien assurées et dans quelle mesure elles sont au contraire l’expression d’un désarroi. Les objections qu’on fait au détracteur de la féminité ont toutes leur source sentimentale dans le rapport érotique qui lie l’homme à la femme. Ce rapport érotique est un rapport tout différent du rapport simplement sexuel à quoi se réduisent les relations entre les sexes dans le règne animal et qui, à en juger par l’extension qu’il y a, est encore et de loin celui qui joue chez l’homme le plus grand rôle. Il est absolument faux de prétendre que sexualité et érotisme, instinct sexuel et amour, sont une seule et même chose, dans le second cas embellie, affinée, “sublimée”, même si tous les médecins l’affirment et même si ce fut là l’idée de Kant et de Schopenhauer. Avant d’en venir aux raisons pour lesquelles il convient de faire à mon avis une séparation nette entre les deux, je voudrais dire ceci. L’opinion de Kant en cette matière ne saurait être retenue, pour la raison bien simple que Kant a ignoré l’amour aussi bien que l’instinct sexuel, à un point où peut-être aucun homme ne l’a fait avant et après lui. Il était trop au-dessus de ces passions et trop pur pour s’exprimer sur elles avec autorité : la seule maîtresse dont il se soit vengé est la métaphysique. Quant à Schopenhauer, il ne comprenait pas l’érotisme supérieur et n’avait le sens que de la sexualité. Il est facile de s’en apercevoir. Son visage montre peu de bonté et beaucoup de cruauté (ce qui n’a rien pour étonner : il faut être peu accessible à la pitié pour concevoir une éthique de la pitié ; les hommes les plus capables de pitié sont également ceux qui se tiennent le plus rigueur de l’être ; ainsi Kant et Nietzsche). Or seuls sont capables d’un violent érotisme les hommes portés à la pitié et à la compassion ; ceux qui ne prennent “aucune part à rien” sont incapables d’amour. Non que de telle natures soient nécessairement sataniques, au contraire ; elles peuvent même être hautement morales, sans pour autant se soucier de ce que pensent ou ressentent leurs voisins, et sans imaginer avec la femme de rapport autre que sexuel. Ainsi de Schopenhauer. Comme homme, il était torturé par l’instinct sexuel, mais n’a jamais aimé ; on ne saurait s’expliquer autrement le caractère unilatéral de sa célèbre “Métaphysique de l’amour sexuel”, qui enseigne que la fin inconsciente de tout amour réside dans la génération. Cette vue, comme je crois pouvoir le montrer, est fausse. Certes, un amour absolument libre de toute sensualité ne se rencontre pas dans l’expérience. L’homme, si élevé qu’il soit, reste un être sensible. Mais ce qu’on peut affirmer et qui réduit cette idée à néant est que l’amour en tant que tel et sans même qu’aucune volonté d’ascèse vienne s’y mêler, se pose en ennemi de tout ce qui dans une relation se rapporte au coït, qu’il s’éprouve même lui-même comme en étant la négation. L’amour et le désir sont deux états si différents, qui s’excluent à tel point l’un l’autre, qui sont si opposés, qu’aux instants où un homme aime vraiment, l’union physique avec l’être aimé lui est une idée impensable. Le fait qu’aucun espoir n’est absolument libre de crainte n’empêche pas que l’espoir et la crainte sont des sentiments opposés. On trouve ce même rapport entre l’amour et l’instinct sexuel. Plus un homme est érotique, moins sa sexualité l’importunera, et vice versa. Même s’il n’y a pas d’adoration qui soit absolument pure de tout désir, cela ne permet pas d’identifier deux choses qui ne représentent au plus que des phases successives dans une vie d’homme suffisamment riche et différenciée. Qui prétendrait aimer une femme qu’il désire ment, ou n’a jamais aimé. C’est pourquoi également parler d’amour dans le mariage apparaît presque toujours comme une hypocrisie. L’attraction sexuelle croît avec la proximité physique, l’amour a besoin de l’aliment de la séparation et de la distance. Et alors que l’amour véritable survit à tous les éloignements, que le passage des ans est impuissant à le faire oublier, un seul geste vers la bien-aimée le plus fortuit et le plus involontaire peut, réveillant l’instinct, suffire à le tuer. Pour l’homme supérieurement différencié, le grand esprit, la femme qu’il aime et la femme qu’il désire sont deux êtres totalement différents. L’amour “platonique” existe donc bel et bien, ou mieux encore, il n’y a d’AMOUR que “platonique”. Tout le reste est bestialité. Il y a d’un côté Tannhäuser et de l’autre Wolfram. D’un côté Vénus et de l’autre Marie. ...

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