Augier Marc - Lettre aux vivants


Auteur : Augier Marc (Saint-Loup)
Ouvrage : Lettre aux vivants
Année : 1942

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Première partie du dernier chapitre de Les partisans, choses vues en Russie 1941-1942 Je pense à vous, ce soir, longuement, impérieusement, mes camarades légionnaires, parce qu'il fait froid, qu'un brouillard acide traîne sur les quais de la Seine et que la nuit ramène au fond de chaque solitude ses angoisses, ses insomnies, ses désespérances ; je pense à vous tous et plus spécialement à ceux qui furent directement mes amis, à Le Merrer, à Caton, au capitaine Fleury, à l'adjudant Hernu, à Bossu, à "la tomate"; et mes souvenirs se relient d'autant plus facilement à votre présence lointaine qu'il existe un fil conducteur tendu entre chacun de nous par une volonté de sacrifice commune, un même idéal national, de nouvelles mesures de la vie. Oui, c'est l'heure où je suis habituellement près de vous, parce qu'il faut à certains moments rassembler toutes les petites flammes de vie éparses pour entretenir une grande lumière, lutter contre l'ombre qui est si impérieuse, là-bas, autour du four et des tables rustiques de l'isba. C'est l'heure où vous avez besoin de toutes les présences amies, même dispersées, dilapidées joyeusement par l'espace aux quatre coins de l'Europe assiégée par les mers et le continent terrible où la hache des bûcherons en uniforme gris se fraye un passage vers des sources neuves de vie. C'est l'heure où vous plongez vos nostalgies dans les journaux de France, les lettres de femmes, à la maigre lueur des torches indigènes, et il faut que vous sachiez, par un témoignage venu de France, que moi-même, et tous les camarades démobilisés, nous avons gardé intactes, malgré les mutilations, les blessures ou la maladie, nos volontés de présence, auprès de vous. Car vous avez des droits sur nous; les droits du fort sur le faible, du vainqueur sur le vaincu. Vous êtes des vainqueurs, puisque vous continuez le combat. Nous ne sommes pas bien nombreux, en France, à savoir ce qu'il représente, et je ne pense pas seulement à l'ennemi classique en armes et uniforme: je pense à la nuit de seize heures qui, quotidiennement, entreprend le siège de vos énergies, au froid qui happe les extrémités et les broie dans sa mâchoire tenace, à la fièvre pétéchiale, à la dysenterie, à la septicémie, au scorbut, au poison des partisans. Les hommes qui sortiront triomphants des steppes russes auront des droits absolus et pourront prétendre à ce que les Allemands appellent "un espace de commandement". Si l'avenir démentait ces espoirs, si les destins du monde étaient encore une fois arrachés des mains des héros, et remis à la discrétion des marchands, il nous faudrait alors désespérer; il serait hautement moral de périr en accumulant la plus grande somme possible de ruines, enveloppés dans les plis du pavillon noir de l'anarchie. Je pense à vous intensément, parce que je sais combien la France vous abreuve de solitude depuis plus d'un an. Ceux qui prétendent qu'elle est coupée de sa tradition historique se trompent : jamais sa conduite ne fut plus strictement conforme à sa tradition historique que maintenant. Souvenezvous que tous ceux qui furent les artisans de sa grandeur durent combattre avec, sur leurs arrières, une patrie indifférente, voir hostile : Jeanne d'Arc, La Fayette, Jacques Cartier, le marquis de Montcalm, et Duguay-Trouin, Savorgnan de Brazza et le commandant Marchand, tous livrèrent des batailles de géants contre la volonté formelle de leur pays; Clemenceau mourut dans l'indifférence, Lyautey dut violer ses consignes pour conserver le Maroc en 1914, Mermoz multiplia ses risques sur de vieux avions, René Caillé atteignit Tombouctou avec des ressources misérables, tout cela dans le temps où l'Angleterre faisait bloc derrière ses navigateurs et ses colons. La France possède bien une tradition historique, mais ce n'est pas celle de sa propre grandeur. Et la France continue. Depuis 1940, nous autres légionnaires, nous sommes les seuls qui ayons fait acte de virilité. L'Histoire ne retiendra que pour mémoire tous ces groupements politiques, ces cercles rapprochants, ces mouvements de jeunesse refoulés, ces patronages insexués qui s'agitent, intriguent, femmellisent avec des disputes et des criailleries de vieilles femmes acariâtres. Malgré leurs antagonismes, ils sont solidement liés par leur crainte de la violence et ils sont tous hautement conservateurs car ils répugnent à jouer la seule carte qui puisse donner quelque atout dans la lutte pour une nouvelle hiérarchie des peuples: celle du risque de sa propre vie. Dans notre aventure, l'aspect de la lutte antibolchevique est simple, accessible à tous. Nous pouvons seulement regretter que dans ce pays, qui est foncièrement antimarxiste, le coup de tonnerre de juin 1941 n'ait pas éveillé des résonances plus vastes. Nous pouvons regretter qu'un peuple comme le nôtre, incroyablement détaché de ses intérêts impériaux et même nationaux, mais prompt à partir en guerre sur des idéologies, à se passionner pour tout ce qui lui est étranger, n'ait pas, cette fois, comme en 1793, éprouvé le besoin de se lever en masse pour des fins à la fois nationales et mystiques. À l'abri du nouveau pavillon "la France seule", chacun dissimule ses petites lâchetés, ses attentismes besogneux, et sa volonté arrêtée de ne plus rien risquer du tout. Sans doute, la défaite de 1940 a-t-elle sonné dans mon coeur, ainsi que dans celui de milliers de camarades le réveil du nationalisme intégral. Notre pacifisme, notre universalisme, ont été frappés à mort par la guerre. Ils ne pourront plus jamais renaître. Tout est devenu simple: un peuple se bat d'abord pour maintenir l'armature de sa propre vie, l'intégrité du sol, la souveraineté de sa langue, l'ensemble de traditions culturelles, familiales, alimentaires, même, qui réunies, forment la nation. Mais le nationalisme intégral n'a pas compris ou voulu comprendre que la lutte contre le communisme était une arme pour sa renaissance. D'abord, parce que la domination des Soviets aurait balayé à tout jamais jusqu'à l'idée même de la nation ; ensuite et surtout, parce qu'une participation de la France aux combats de l'Est ouvrait de nouvelles perspectives. Qui ne comprend qu'avec une armée de 500 000 volontaires notre pays n'était déjà plus le vaincu de 1940, qu'avec 1 500 000 hommes aux côtés de l'Allemagne nos états-majors prenaient une part active à la conduite des hostilités, qu'avec 3 000 000 la France retrouvait une entière liberté de mouvement, et que les six semaines de batailles malheureuses passaient par les profits de pertes de l'Histoire ? Il fallait prendre des risques ? D'accord. C'était dur ? Peut-être. Sanglant ? Certainement. Mais n'oubliez jamais qu'un peuple qui cesse de prendre des risques et de consentir des sacrifices de sang cesse de vivre en tant que peuple. Voilà ce que vous avez appris, mes camarades légionnaires, et voilà la source de vos angoisses du présent. Nous qui avons pris ces risques, nous cesserons peut-être, malgré cela, d'exister en tant que peuple parce que nous n'aurons pas été suivis. En aucun cas, le vainqueur de cette guerre ne redonnera aux Français leur pleine indépendance nationale s'ils se sont contentés de suivre les sacrifices des autres en observateurs. Le point de vue de l'Allemagne, de l'Angleterre, de l'Amérique ou de la Russie concorde certainement sur ce plan. Je sais ce que vous répondez, mes camarades, qui montez présentement des gardes sous le ciel glacé où les étoiles percent, telles les gouttes d'une cascade figée, les pieds réfugiés dans les bottes de feutre, les épaules ployant sous le poids de la touloupe. Nous avons fait notre devoir de nationalistes, d'Européens et de révolutionnaires. Personne, et nos chefs ; moins que les autres, ne peut rien nous reprocher. Nous avons été sincères jusqu'aux frontières de la vie et de la mort. Quel que soit le vainqueur de cette guerre, nous pourrons le regarder bien en face, et, en aucun cas, nous ne pouvons plus être vaincus, soit que l'Allemagne triomphe, soit que les Anglo-Saxons l'emportent, et, dans ce cas, nous devrons risquer encore une fois notre vie ; mais, de toute façon, nous avons racheté, pour nous-mêmes, une défaite de la France. La nuit est claire et glacée, camarades de l'Est, et vous continuez de souffrir. Vos peines de présent vous voilent peut-être les réalités plus hautes de votre condition humaine et qui s'en vont, bien audelà des notions de vainqueur et de vaincu, vers les profondeurs que je puis explorer, moi qui ai cessé de souffrir. Vous êtes partis à la conquête d'un nouveau Graal, vous êtes les purifiés du présent. Légionnaires, vous avez pris le départ, les premiers, vers une nouvelle conception de vie. Je dis "nouvelle", parce que l'homme ne peut vivre que d'espoir, mais elle est en réalité très ancienne, parce qu'en fait, rien de nouveau ne sortira jamais du cycle de l'homme sur la terre. Légionnaires, vous êtes les premiers bâtisseurs d'un ordre de chevalerie. D'autres peuples vous ont devancés, et dans une mesure telle que l'écart des possibilités est vraiment effrayant. Mais pour la France, pour la nouvelle France qui brûle dans nos coeurs, vous avez, les premiers, plié le genou, prononcé les voeux d'obéissance, de sacrifices et de pauvreté qui constituent la base solide d'un nouvel ordre, lui-même préfigurateur d'un nouvel homme. Tout ce qui nous manquait depuis notre fier Moyen Age, les règles perdues pour assembler les clefs de voûte de nos cathédrales et qui tiennent toutes, vous entendez bien ? Toutes, dans l'oubli de soi, sont entre vos mains. Qui que vous soyez, quels que soient la médiocrité de votre passé, le poids de vos fautes, vous sortez purifiés de l'épreuve et vous avez pris une avance telle que vous ne serez jamais rattrapés si vous restez fidèles à la règle d'obéissance, de sacrifice et de pauvreté. Vous représentez non seulement notre honneur, mais aussi notre capital militaire : le seul qui nous reste. Les événements de novembre 1942 ne sont pas accidentels : ils s'inscrivent dans le cadre révolutionnaire. Les derniers régiments de la république et de la défaite ne pouvaient survivre à la république de la défaite : l'instrument militaire d'une politique disparaît avec la faillite de cette politique. Vous êtes l'armée du devenir, d'une France qui reste à créer. Et, comme notre Légion s'est rassemblée autours d'idées dont l'ensemble dessine une conception de vie, elle constitue un ordre comme celui des chevaliers porte-glaive ou des chevaliers du Temple. C'est surtout cela qui est important, qu'il faut affermir, dégager et mettre en oeuvre. Car, si la Légion devait cesser le combat avec la fin de la lutte contre le bolchevisme, nous aurions peut-être accompli un geste de politique extérieure, mais nullement réalisé nos buts nationaux. Les partis politiques tels qu'ils existaient avant 1939, tels qu'ils se survivent en 1943, semblent tout à fait impropres à édifier la structure intérieure du pays. Ce qui leur manque, ce ne sont ni les idées, ni les volontés, mais l'occasion d'un véritable combat pour cimenter, par les liens du sang, et du risque affronté en commun, la troupe chargée de supporter le pouvoir. Vous n'êtes pas une élite intellectuelle et sociale, loin de là, et j'ajoute : heureusement ! Heureusement, car la France est bourrée à craquer d'"intelligences" qui ne se traduisent dans le concret que par de toutes petites velléités d'action, et, ce qu'il est commun de désigner dans la rubrique "élite sociale", ce sont ces classes héréditairement parvenues ou cette aristocratie dégénérée, embourgeoisée, en complète faillite, qui se trahit soi-même sans repos ni trêve depuis 1789. Vous êtes beaucoup plus que tout cela : des hommes de caractère, un type d'hommes qui fait précisément défaut à la France dont l'Université continue de refuser obstinément le remplacement d'une classe de philosophie par un cours de boxe. Enfin – et surtout – vous sortez du peuple, vous êtes des fils du peuple, de ce peuple qu'on dit veule, affaissé sur le souvenirs de ses jouissances. Mais c'est encore dans le peuple – et seulement dans le peuple – que se recrutent les volontaires pour monter au "casse-pipe" ou, de l'autre côté de la barricade, pour affronter les cours martiales. Aussi, malgré votre culture limitée, vos idées politiques simples, je dis que vous êtes bien placés pour devenir les soldats de l'Ordre nouveau, les chevaliers porte-glaive d'un monde qui s'instaure présentement sur le sacrifice des héros et ne peut éclore autrement, même si l'Amérique gagnait la dernière manche, car sa victoire ne pourrait être également que la résultante du sacrifice de ses marins, de ses soldats, de ses aviateurs. Vous êtes bien placés, parce que, justement, cette culture limitée, ces idées politiques simples n'ont pas étouffé, en vous, la force de caractère et les vertus de sacrifice. Voilà ce que j'avais à vous dire, ce soir, pour vous aider à découvrir en vous votre mission véritable et vous donner la volonté de puissance. Ceux qui me lisent dans les clans hostiles doivent savoir que nous ne sommes pas – que nous n'avons jamais été – des mercenaires de l'Allemagne, mais des hommes hautement sincères et guidés, en dernière analyse, par l'amour de leur pays. Russie Blanche Château-Renard, 1942. ...

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